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vient de singuliers réveils dans cette langueur. Un jour que je le rencontrais ainsi dans une de ces cours de l’Institut que les profanes traversent irrévérencieusement pour raccourcir leur chemin, comme on traverse une église, — un jour que je le rencontrais donc, et qu’arrivé tout fraîchement moi-même de sa Franche-Comté et de son Jura, je lui en rappelais avec feu quelques grands sites, il m’écoutait en souriant ; mais j’avais cherché vainement le nom de Cerdon pour le rattacher à cette haute et austère entrée dans la montagne après Pont-d’Ain : ce nom de Cerdon, que je ne retrouvais pas et que je balbutiais inexactement, avait dérouté à lui-même sa mémoire, et nous avions tourné autour, sachant au juste de quel lieu il s’agissait, mais sans le bien dénommer. Il m’avait quitté, il était loin, lorsque du fond de la seconde cour, et du seuil même de l’illustre portique, un cri, un accent net et vibrant, le mot de Cerdon, qui lui était revenu, et qu’il me lançait avec une joie fière en se retournant, m’arriva comme un rappel sonore du pâtre matinal aux échos de la montagne : le Nodier jeune et puissant était retrouvé !

Les soirs même de dimanche, en cet Arsenal toujours gracieux et embelli, s’il s’oublie quelquefois, comme par mégarde, à causer et à rajeunir, si, debout à la cheminée, il s’engage en un attachant récit qui ne va plus cesser, à mesure que sa parole élégante et flexible se déroule, écoutez, assistez ! Voyez-vous cette organisation puissante qui a faibli, comme elle se rehausse aux souvenirs ! l’œil s’éclaire, la voix monte, le geste lui-même, à peine sorti de sa longue indolence, est éloquent. Je me figure un Vergniaud qui cause.

Dans le Nodier d’aujourd’hui, à travers la fatigue, il y a encore par accès du montagnard élancé à haute et large poitrine, de même que dans celui d’autrefois et jusqu’en sa pleine force, on dut entrevoir toujours quelque chose de ce qui a promptement fléchi. Les Francs-Comtois transplantés ne sont-ils pas volontiers comme cela ?

Quoi qu’il en soit, lui, il était tel lorsque ses premiers séjours à Paris agrandirent sous ses pas bondissans le cercle des aventures. J’ajourne pour un instant les échappées politiques : littérairement on le possède dès ce moment-là, d’une manière complète et circonstanciée, dans quelques petits ouvrages de lui qui furent conçus sous ces coups de soleil ardens, sous ces premières lunes sanglantes et bizarres.

Le Peintre de Saltzbourg, journal des émotions d’un cœur souffrant, suivi des Méditations du cloître, 1803.

Le dernier Chapitre de mon Roman, 1803.

Essais d’un jeune Barde, 1804.