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Au retour de Novilars, il fréquenta à Besançon les cours de l’École centrale ; dès 1797, il était adjoint au bibliothécaire de la ville, avec de petits appointemens qui lui permirent quelque indépendance. Jusqu’alors il avait été plutôt timide et d’une allure toute poétique ; il commença de s’émanciper, et ces vives années de son adolescence purent paraître très dissipées et très oisives. Son père l’aurait voulu avocat ; il suivit le droit à Besançon, mais inexactement et sans fruit. À cette époque il en était déjà aux romans, soit à les pratiquer, soit à les écrire. L’influence de Werther fut très grande sur lui et l’exalta singulièrement. La mode y poussait ; le plus flatteur triomphe d’un jeune-France en ce temps-là consistait à obtenir des parens de porter l’habit bleu de ciel et la culotte jaune de Werther. Dans ces premiers accès d’enthousiasme germanique, Nodier ne savait que fort peu l’allemand ; il lisait plus directement Shakspeare ; mais il avait pour ainsi dire le don des langues ; il les déchiffrait très vite et d’instinct, et en général il sait tout comme par réminiscence. Rien d’étonnant que, comme toutes les réminiscences, ses connaissances, d’autant plus ingénieuses, soient parfois un peu hasardées.

Il se trouva impliqué en 1799 (an VII) dans quelque petite échauffourée politique. Il s’agissait d’un complot contre la sûreté de l’état. Condamné d’abord par contumace, il fut ensuite acquitté à la majorité d’une voix, le 10 fructidor an VII. Il avait perdu sa place de bibliothécaire-adjoint ; son père l’envoya à Paris (vers 1800) pour y continuer ses études interrompues ; il y porta des romans déjà faits, et y contracta de nouvelles liaisons politiques. Après un premier séjour à Paris, il fut rappelé à Besançon ; c’était l’époque où les émigrés commençaient à rentrer ; il se lia avec ceux d’entre eux qui étaient encore jeunes, et tourna au royalisme en combinant ses nouvelles affections avec les anciennes. Revenu à Paris à l’époque où Bonaparte consul visait de près à l’empire, il y fit la Napoléone (1802), encore plus républicaine que royaliste : le dernier vers y salue l’échafaud de Sidney. Il publia presque en même temps le petit roman des Proscrits, et, dans un genre fort différent, une Bibliographie entomologique ; il avait écrit des articles dans un journal d’opposition intitulé le Citoyen français, qui paraissait pendant la première année du Consulat. Il avait déjà fait imprimer à Besançon, en 1801, et tirer à vingt-cinq exemplaires Quelques Pensées de Shakspeare, avec cette épigraphe de Bonneville :

Génie agreste et pur qu’ils traitent de barbare.