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reconnaissent par cela même l’omnipotence de cette chambre, ou du moins sa prépondérance légale et permanente. Il n’en est rien.

L’égalité de droit entre les grands pouvoirs de l’état est un principe fondamental. Ce principe aboli, le système s’écroulerait à l’instant même. C’est ainsi que l’assemblée délibérante de 1791 emporta la monarchie, et qu’ailleurs la royauté a fait des assemblées délibérantes une vaine forme.

Mais en fait, la pondération des pouvoirs n’est jamais un état d’immobilité absolue. C’est une balance qui oscille toujours un peu, qui penche tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. C’est là la vie politique, le fait des gouvernemens de lutte et de discussion. Le parfait équilibre se dérange et se rétablit incessamment. Aux faibles oscillations suffisent les ressorts ordinaires du mécanisme politique. Aujourd’hui les chambres transigent entre elles, demain elles transigeront avec la royauté ; aujourd’hui la royauté s’appuie de l’une d’elles pour transiger avec l’autre, demain ce sera dans l’autre chambre qu’elle prendra son point d’appui. Ces faits souvent sont manifestes au vulgaire quelquefois il ne les aperçoit point, parce que les transactions, et c’est là le mieux, se font tacitement, par voie de prévision. Un pouvoir ne demande à l’autre que ce qu’il croit pouvoir en obtenir.

Toujours est-il qu’entre des pouvoirs égaux, une lutte opiniâtre, un profond dissentiment, sont possibles. C’est là le nœud gordien des gouvernemens mixtes. Comment s’y prendre ? Faut-il le couper ou le délier ? Ce serait le couper que d’attribuer la prépondérance de droit à l’un des pouvoirs. Encore une fois, il absorberait tous les autres. Il fallait donc chercher ailleurs, en dehors de ces pouvoirs, un régulateur, un arbitre. On a recours, dans ce cas, à l’extrémité suprême et décisive d’un appel au pays, à la dernière raison du système représentatif, comme l’a si spirituellement appelée M. de Broglie, c’est-à-dire à l’opinion publique légalement manifestée, au corps électoral qui peut aussi se tromper, nais devant lequel cependant il faut s’arrêter, parce que, à moins d’arriver à la force brutale, il faut s’arrêter quelque part.

Mais qui ne voit que l’appel au pays peut être provoqué, rendu nécessaire, indirectement du moins, par la résistance de l’un ou de l’autre des grands pouvoirs ; qu’il est établi dans l’intérêt de tous ; que tous se présentent dans la lutte au même titre, au nom du même intérêt, qui est l’intérêt général, l’intérêt du pays ? La France n’est pas représentée par un seul des grands pouvoirs de l’état, mais par tous. Tous agissent au nom de l’intérêt général ; c’est là leur droit, c’est là leur mission. Il n’y a point dans notre système politique de représentation légale d’un intérêt particulier. Notre royauté n’est pas une royauté patrimoniale ; la chambre des pairs n’est pas une chambre féodale, et la chambre des députés n’est pas une chambre des communes, la représentation du tiers-état, d’une classe quelconque. La royauté, la chambre des pairs, la chambre des députés, représentent la France, chacune selon sa forme et dans les limites de ses pouvoirs. Qu’importe ici que la mission soit héréditaire, viagère ou temporaire ? qu’elle