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DES RÉVOLUTIONS DANS LES SOCIÉTÉS NOUVELLES.

taque. Ceux qui l’avaient d’abord repoussée comme fausse finissent par la recevoir comme générale, et ceux qui continuent à la combattre au fond de leur cœur n’en font rien voir ; ils ont bien soin de ne point s’engager dans une lutte dangereuse et inutile.

Il est vrai que quand la majorité d’un peuple démocratique change d’opinion, elle peut opérer à son gré d’étranges et subites révolutions dans le monde des intelligences ; mais il est très difficile que son opinion change, et presque aussi difficile de constater qu’elle est changée.

Il arrive quelquefois que le temps, les évènemens, ou l’effort individuel et solitaire des intelligences, finissent par ébranler ou par détruire peu à peu une croyance, sans qu’il en paraisse rien au dehors. On ne la combat point ouvertement ; on ne se réunit point pour lui faire la guerre. Ses sectateurs la quittent un à un et sans bruit ; mais chaque jour quelques-uns l’abandonnent, jusqu’à ce qu’enfin elle n’est plus partagée que par le petit nombre.

En cet état elle règne encore.

Comme ses ennemis continuent à se taire, ou ne se communiquent qu’à la dérobée leurs pensées, ils sont eux-mêmes long-temps sans pouvoir s’assurer qu’une grande révolution s’est accomplie, et dans le doute ils demeurent immobiles. Ils observent et se taisent. La majorité ne croit plus ; mais elle a encore l’air de croire, et ce vain fantôme d’une opinion publique suffit pour glacer les novateurs, et les tenir dans le silence et le respect.

Nous vivons à une époque qui a vu les plus rapides changemens s’opérer dans l’esprit des hommes. Cependant il se pourrait faire que bientôt les principales opinions humaines soient plus stables qu’elles ne l’ont été dans les siècles précédens de notre histoire ; ce temps n’est pas venu, mais peut-être il approche.

À mesure que j’examine de plus près les besoins et les instincts naturels des peuples démocratiques, je me persuade que, si jamais l’égalité s’établit d’une manière générale et permanente dans le monde, les grandes révolutions intellectuelles et politiques deviendront bien plus difficiles et plus rares qu’on ne le suppose.

Parce que les hommes des démocraties paraissent toujours émus, incertains, haletans, prêts à changer de volonté et de place, on se figure qu’ils vont abolir tout à coup leurs lois, adopter de nouvelles croyances et prendre de nouvelles mœurs. On ne songe point que si l’égalité porte les hommes au changement, elle leur suggère des intérêts et des goûts qui ont besoin de la stabilité pour se satisfaire ;