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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

la plus vive, manque d’illumination intérieure ; il n’a pas non plus assez de relief aiguisé et de tranchante ciselure. M. Delavigne renie trop, soit au fond, soit dans la forme, cette famille de poètes au souffle ardent dont Byron est à la fois le type sublime et outré. Non que la sérénité de l’âme et le calme extérieur ne soient compatibles avec la poésie, non qu’il faille adopter cette formule anarchique, désordre et génie, qui a prévalu pendant un temps ; mais parce que la passion seule, dans son jet expansif, peut enfanter les inspirations grandes et vigoureuses. Ce défaut de passion explique comment M. Delavigne a toujours réussi plus ou moins à charmer la foule par le plaisir de l’art, sans qu’il ait jamais pu l’influencer activement ni l’enchaîner à la fortune de son esprit. Il a régné sans gouverner, un peu à la façon des rois constitutionnels, qui n’ont point d’action propre efficace en dépit du prestige et de la pourpre.

Si un bon sens éminent, une forme d’une habileté rare, de la grace, de l’esprit, un noble caractère, suffisaient à l’individualité poétique, sans contredit, l’auteur de tant d’ouvrages où tous ces mérites respirent, aurait droit à une consécration sans réserve. Si la constance à toute épreuve, l’ordre le plus parfait dans la réalisation du talent, les succès acquis sans relâche, composaient la valeur absolue et éternelle de l’œuvre, nul n’aurait édifié un monument plus beau que l’écrivain le plus applaudi et le plus persévérant de nos jours. Mais la patience n’est pas tout le génie, ainsi que l’a dit à peu près Buffon. Le grand poète, selon nous, est moins celui qui dispose avec prévoyance que celui qui crée avec feu. Jeter des semences nouvelles dans le champ fertile de l’émotion, découvrir des horizons inaperçus à l’ame et à la pensée, plonger hardiment dans les entrailles de la vérité sensible pour en rapporter des trésors inconnus, telle est la mission du poète parmi les hommes. Avec le don d’enchâsser heureusement des idées taillées et polies par avance, avec la mise en œuvre parfaite, on a sans doute de belles parties du caractère poétique, on n’est pas le poète tout entier. Celui dont la tâche consiste à répéter sous une forme plus pure les vérités acquises, mérite à quelques égards les hommages et les respects de la foule, mais il laisse à d’autres mieux doués et plus complets la palme souveraine ; il offre à nos regards une noble figure digne d’intérêt et d’étude, mais en la contemplant, un regret se fait sentir : c’est que la sympathie humaine, ce foyer inépuisable, ne l’ait pas plus magiquement illuminée de ses vives flammes.


Dessalles-Régis.