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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

fidèle à sa nature, a jeté sur ses plus téméraires saillies l’uniforme vernis, et, pour ainsi dire, le manteau de son style. Tout s’y trouve anobli jusqu’aux moindres détails. C’est un soin perpétuel de coquetterie et d’extrême élégance qui aboutit souvent à la périphrase, malgré quelques rares brisures. On devine qu’il s’agit pour le poète d’une part de tradition toute spéciale, qu’il garde par goût autant que par religion, et que pour rien il ne voudrait sacrifier sur les autels plus infidèles du romantisme.

Les Enfans d’Édouard, écrits dans le même nouveau système, sont le développement d’un des innombrables épisodes du Richard III de Shakspeare, et comme un coin de ce vaste tableau historique. M. Casimir Delavigne aurait eu vraiment trop à faire pour suivre le poète anglais dans sa course hardie à travers la colossale et sanglante biographie du duc de Glocester. Son dessein n’était point et ne pouvait être de lutter ni pour l’audace de la conception ni pour la témérité du système avec le chef de la scène anglaise. C’est le caractère propre comme la limite du talent de M. Delavigne de ranger tout emprunt, même le plus hardi, sous un certain niveau de perfection moyenne, soit qu’il ajoute à son modèle, ainsi que dans Marino Faliero, soit qu’il lui retranche, comme dans les Enfans d’Édouard. Les personnages les plus nombreux et les plus divers rois, reines, princes, lords, évêques, bourgeois, se pressent, se succèdent dans l’œuvre de Shakspeare. Tout crime et toute terreur sont contenus dans Richard III : d’abord Henri VI et son fils Édouard poignardés dans leur prison par l’usurpateur ; puis le duc de Clarence, frère de Richard, noyé par ses ordres dans un tonneau de malvoisie ; Rivers, lord Gray, frère et fils de la reine, mis à mort dans les cachots de Ponfrect ; lord Hastings, lord Buckingham immolés sur l’échafaud ; enfin la femme de Richard, lady Anne, empoisonnée par son mari ; et l’espace de temps durant lequel se meuvent tant d’évènemens terribles, ne comprend pas moins de quatorze années. Entre tous ces sujets dramatiques, M. Delavigne n’en choisit au contraire qu’un seul, le meurtre des enfans d’Édouard IV, afin qu’il le puisse ménager avec art, et ce seul fait, il l’amène en trois jours, ce qui dépasse encore le terme des prescriptions classiques. Tout l’intérêt se concentre donc sur deux jeunes princes, beaux, aimables, tristes, unis par les liens d’une touchante fraternité, et dévoués l’un et l’autre à devenir victimes d’une barbare ambition. Il y a là tout le charme mélancolique d’un tableau célèbre dont la tragédie de M. Delavigne a passé justement pour être une élégante para-