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primée aussitôt par la police armée de l’Autriche, et le Piémont par contre-coup à conspirer, le poète français tour à tour applaudit à Parthenope pour ses réminiscences de liberté antique ou la raille d’un effort trop tôt lassé. Seulement M. Delavigne ne sort pas des thèmes convenus, et obstinément fidèle à ses souvenirs classiques, il ne trouve guère à parler que du laurier de Virgile en face du présent ensanglanté. Est-ce la Grèce qui, après trois siècles d’esclavage, veut secouer ses chaînes, et retrouve enfin ses héros d’autrefois ? le poète naturellement entonne des chants d’amour et d’espoir en faveur d’une cause sympathique à tous, même aux rois de l’Europe. Mais ici encore M. Delavigne, qui se retrouvait plus que jamais en plein dans ses sujets de prédilection, obéit presque sans réserve à l’inspiration païenne. Il se souvient beaucoup plus de la Grèce antique que des modernes Hellènes, excepté pourtant dans le Jeune Diacre ; il se borne à encadrer au milieu de ses hors-d’œuvre classiques quelque fait emprunté à l’histoire de la régénération de la Grèce par M. Pouqueville. C’est Tyrtée radouci qui parle aux Grecs en des strophes pures et harmonieuses. Le plus souvent on entend retentir les noms de Thémistocle, de Démosthène, et l’appellation sacrée de Salamine ; l’évocation de Léonidas précède et domine à travers les siècles l’ombre de Canaris.

Il n’était pas moins dans la nature de M. Casimir Delavigne d’accompagner au tombeau et d’entourer de son crêpe poétique les grandes gloires qui s’éteignent au milieu des universels regrets. Ainsi, lorsque dans cette même année 1821, déjà si remplie d’évènemens, le captif de Sainte-Hélène meurt sur son rocher, le poète, attentif à cette catastrophe nouvelle, chante Napoléon, toutefois avec un plus juste sentiment d’impartialité qu’autrefois, lors de son premier dithyrambe si naïvement admiratif :

Tu régnerais encor si tu l’avais voulu.
Fils de la liberté, tu détrônas ta mère.
Armé contre ses droits d’un pouvoir éphémère,
Tu croyais l’accabler, tu l’avais résolu ;
Mais le tombeau creusé pour elle
Dévore tôt ou tard le monarque absolu :
Un tyran tombe ou meurt ; seule elle est immortelle.

Et quand trois ans plus tard, le chantre de Childe-Harold s’en va tristement mourir à Missolonghi au milieu de ses généreux préparatifs de défense pour la Grèce, M. Delavigne déplore aussi la fatale