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fièrement le souvenir d’un passé glorieux, et par cela même consolateur. Le poète avait d’ailleurs empreint ses chants d’une émotion réelle et vivement sentie ; son accent était tour à tour triste et enthousiaste, et il avait su revêtir les plus généreuses pensées d’une forme toujours facile et brillante. Aussi, les trois premières élégies nationales : la Bataille de Waterloo, la Dévastation du Musée et des monumens, du Besoin de s’unir après le départ des étrangers, vibrèrent-elles dans tous les cœurs, parce que, si l’on excepte des invocations par trop fréquentes à l’Olympe mythologique, elles exprimaient avec une noble convenance des sentimens partout réels et profonds. Chacun avait vu passer avec tristesse quelques débris mutilés de cette phalange sainte, de cette garde qui meurt et ne se rend pas. Chacun avait protesté du fond de l’ame contre ce sauvage abus de la victoire qui, non contente de nos guerriers immolés, s’attachait à nous ravir nos plus précieux monumens ; tous les amis des arts avaient accompagné de regrets dans leur exil lointain ces dieux de la Grèce, particulièrement chers aux poètes. Dans la troisième Messénienne, où l’auteur faisait un touchant appel à l’union des partis, on put admirer la sagesse précoce de ce jeune homme de vingt-quatre, ans, qui donnait en quelque sorte la leçon aux hommes de tous les âges, même aux plus expérimentés. Les Messéniennes, dont il se vendit plus de 21,000 exemplaires dans une année, étaient récitées à l’envi dans tous les lieux d’assemblées patriotiques ; la nation les gardait pour ainsi dire dans sa mémoire, comme fait l’Italie des vers du Tasse (fortune poétique bien rare de nos jours), et pendant un temps elles partagèrent, avec les refrains de Béranger, l’honneur de consoler la France libérale[1].

Ce moment des premières Messéniennes marque, à vrai dire, le plus pur et le plus incontesté triomphe de M. Casimir Delavigne ; à peine encore à ses débuts, il avait atteint déjà son faîte de souve-

  1. Quelques années plus tard, M. Casimir Delavigne devait être comparé, préféré même à l’auteur des Méditations poétiques par tout un côté d’admirateurs fervens des Messéniennes. Chez les plus impartiaux et les plus éclairés, son nom s’associait encore naturellement à ceux de Béranger et de Lamartine. On peut voir à ce sujet de curieux et fort remarquables articles de M. Charles de Rémusat dans le premier volume du Globe, février 1825. Les trois poètes alors dominans se trouvent caractérisés chacun dans sa manière distincte, mais confondus à peu près ou du moins balancés encore dans un sentiment de commune admiration qui ne pourrait tout-à-fait subsister de nos jours, et que le spirituel critique n’admettait, on le sent bien, que par une concession forcée au goût général. Beaucoup d’éloges y sont de fins conseils.