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comédies. Les comédiens se risquaient encore plus rarement dans les tragédies. Aussi, quand Lucien avance que le grand comique Satyrus représentait quelquefois Agamemnon, Créon ou Priam[1], il faut entendre, à mon avis, que Satyrus remplissait ces personnages dans quelque comédies ou parodies. Il n’en était pas des choreutes comme des acteurs : « Souvent, dit Aristote, les mêmes personnes figurent successivement dans un chœur tragique et dans un chœur comique[2] ; » ce qui eut lieu surtout quand les choreutes cessèrent d’être choisis parmi les citoyens libres, et ne furent plus, comme du temps d’Aristote, que des acteurs subalternes. Si donc le poète ou son tenant-lieu, l’hypodidascale, ne pouvait pas forcer un protagoniste à jouer un second rôle, ni un deutéragoniste à en accepter un troisième, il avait, en revanche, le droit incontestable de déterminer quel était, dans son intention, le premier, le second et le troisième rôle, désignation très délicate, quelquefois fort arbitraire, comme on peut en juger par quelques pièces d’Euripide[3], et qui, dans tous les cas, donnait en réalité au poète un plein pouvoir sur la distribution des rôles.

Au reste, quand je me sers de ces mots : distribuer les rôles, j’emploie sciemment une expression trop moderne, et par là même un peu fautive. Lorsque, du temps de Solon, les chœurs dithyrambiques commencèrent à se transformer en chœurs tragiques, la science de l’écriture, alors nouvelle, était encore peu répandue. On n’avait l’usage ni de copier, ni, par conséquent, de distribuer les rôles. Ce que le didascale distribuait aux acteurs, c’étaient les masques qu’il leur destinait. Une pierre gravée, publiée par Ficoroni[4], représente un poète appuyé d’une main sur le bâton comique[5], et tenant de l’autre un masque de femme, qu’il semble se disposer à présenter à un acteur. Sur un vase peint du cabinet d’Hamilton on voit un jeune homme, peut-être un poète, offrant un masque de paysan à un comédien vêtu en esclave[6]. Enfin, une pierre gravée du cabinet de Stosch représente une distribution de rôles plus détaillée et vraiment complète.

  1. Lucian., Menipp. sive Necyom., cap. XVI. — Quelques critiques distinguent Satyrus dont parle ici Lucien du comédien dont il est question dans Démosthène.
  2. Aristot., Politic., lib. III, cap. I, § 14, ed. Barth. Saint-Hilaire
  3. Il est difficile de déterminer quel était le premier rôle dans Hécube, Les suppliantes, Hercule furieux et quelques autres pièces d’Euripide. — On voit dans Donat (Ad Prolog. Terent. Adelph.) que les grammairiens anciens ne s’accordaient pas sur l’ordre des rôles dans les Adelphes.
  4. Ficoron., Le mascher. scen., tav. 76.
  5. Poll., lib. IV, § 120.
  6. Tyschbein, Vases du cabinet d’Hamilt., tom. I, pl. 40