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L’IRLANDE SOCIALE, POLITIQUE ET RELIGIEUSE.

imparfaits. Il est clair qu’il y a là, sans injustice et sans violence, d’utiles réformes à introduire et une lacune à combler.

M. de Beaumont remarque d’ailleurs que ces réformes seraient faciles en Irlande. En Angleterre, où la propriété féodale est restée populaire, on s’occupe plus de l’héritage que de l’héritier. C’est donc avec une certaine douleur que l’on verrait disparaître ces terres si belles et si admirablement cultivées, où le parc et les fermes se réunissent pour former un ensemble parfait. Mais en Irlande il n’y a rien de semblable, et hors des limites du parc, la propriété la plus étendue n’offre plus que le triste spectacle d’un morcellement poussé jusqu’à ses dernières limites. L’œuvre devant laquelle recule l’Angleterre est donc accomplie, et il ne s’agit plus que de savoir s’il vaut mieux que chaque demi-acre de terre soit cultivé par un propriétaire ou par un fermier, par un homme libre ou par un serf. Ainsi posée, la question ne saurait être douteuse.

Dans l’ordre politique, il semble, si l’on s’en tient aux apparences, que l’Irlande n’ait presque plus rien à désirer. Comme l’Angleterre, l’Irlande est maîtresse des droits essentiels sur lesquels repose la liberté politique et civile, le jugement par jury, l’indépendance des juges, la responsabilité des fonctionnaires, le droit de pétition et d’association, la liberté individuelle, la liberté d’enseignement. De plus, l’odieuse distinction qui existait entre les habitans d’un même pays a cessé, et les catholiques, électeurs et éligibles au même titre que les protestans, ne voient plus devant eux aucune carrière fermée. En reprenant quelques-unes des attributions jusqu’alors dévolues à l’aristocratie, et en se réservant sur quelques autres un droit de surveillance et de contrôle, le gouvernement central, d’ailleurs, a trouvé le moyen d’empêcher que le droit ne fût détruit par le fait. Reste, à la vérité, la question des corporations municipales sur laquelle la chambre des lords et la chambre des communes n’ont pu encore parvenir à s’entendre, mais qui ne peut manquer de finir bientôt par une transaction. Une fois cette transaction conclue, l’organisation politique de l’Irlande sera à peu de chose près semblable à celle de l’Angleterre, et ceux qui se bornent à demander l’égalité entre les deux pays paraîtront avoir gain de cause.

Malheureusement cette égalité restera purement nominale, et il suffit, pour s’en convaincre, de regarder au fond des choses. Aujourd’hui, sans doute, le gouvernement anglais, en pesant de tout son poids sur l’aristocratie irlandaise, contient ses mauvais penchans, et l’empêche d’abuser des instrumens que la loi met entre ses mains.