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laissé l’analyse, il ne peut plus reprocher à la jeune fille l’imprudence qu’elle a commise de recevoir en tête-à-tête un homme qui ne peut pas l’épouser. Cassandrino est aujourd’hui dégagé de toute ambition ecclésiastique, il peut toujours se marier, et la plus grande obligation que la censure lui ait imposée, c’est qu’on ne puisse jamais le prendre pour un monsignore ou pour tout autre aspirant au cardinalat. Le jeune peintre qui, sous la perruque noire et les favoris énormes de ce nouvel élève, reconnaît la tête poudrée de l’ambitieux et coquet vieillard, ne pourrait donc plus lui dire : — Vous étiez venu pour prendre une leçon de peinture ; je vais vous la donner ; je commencerai par le coloris. Mes élèves vont vous dépouiller de vos habits, après quoi ils vous peindront le corps de la tête aux pieds d’une belle couleur rouge (allusion à un grand costume) ; et parvenu ainsi au comble de vos vœux, ils vous promèneront dans le Corso. — Cassandrino, depuis une dizaine d’années, a fait un grand sacrifice ; il a renoncé au rouge.

Le prudent personnage ne se permet donc plus que de légères épigrammes qui ne s’attaquent qu’aux personnes, et qui sont loin d’avoir le mordant des dialogues de Pasquin et Marforio. La reproduction des ridicules des grands personnages laïcs lui est rigoureusement défendue. À peine lui permet-on de se moquer sagement d’un moine bavard ou d’un abbé turbulent ; c’est déjà beaucoup qu’on lui laisse ses coudées franches lorsqu’il s’agit d’attaquer les ridicules des séculiers. Cassandrino le sait bien, il ne doit la vie qu’à cette modération de la censure à son égard. Cassandrino censuré perdrait à la fois sa verve, son à-propos et son savoir-faire comique.

Aujourd’hui le théâtre des Burattini est le seul, à Rome, où l’on retrouve encore la vraie comédie, c’est-à-dire celle qui s’attaque franchement aux ridicules des hommes, qui les moralise en les amusant et en leur plaçant courageusement le miroir sous les yeux. Que l’on brise ce miroir, ou que seulement on en altère le poli, de sorte qu’au lieu de reproduire l’expression et le jeu mobile de la physionomie humaine, il n’en puisse plus retracer que les lignes grossières et les traits généraux, et l’on tombe aussitôt dans la comédie de lieu commun ; la comédie vraie et franche, la comédie naturelle n’existe plus.

Nous doutons fort toutefois qu’il faille attribuer à l’amour de l’art, ou seulement à son intelligence, la modération de la censure romaine à l’égard de ce petit théâtre ; nous croyons plutôt que le gouvernement romain a trouvé les malices de Cassandrino trop peu offensives pour s’en inquiéter ; nous croyons aussi qu’on s’est cru