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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

bruit que fait la pierre en tombant ; il se désole, car au fond il a meilleur cœur que George Dandin. Il descend le plus vite qu’il peut ; il va chercher un crochet et se désespère en tirant du puits des roseaux qu’il prend pour des rubans, de la filasse qu’il croit être des cheveux, de vieux souliers et des chiffons de toute espèce qu’il reconnaît pour avoir appartenu à sa femme ; enfin, après de longs efforts, il ramène un poids très lourd : c’est le cadavre d’un barbet qui s’est noyé la veille. Cassandrino, que sa douleur rend aveugle, va le presser tendrement dans ses bras, quand tout à coup sa femme paraît à la fenêtre une lanterne à la main et l’apostrophe d’une façon brutale. L’infortuné croit voir un spectre, et, se mettant à genoux, implore son pardon ; c’est dans ce moment qu’arrivent les parens de l’eminente que le mari avait envoyé chercher. Il faut voir de quelle façon la mère traite le mari confus et repentant ! Elle ne lui dit pas comme Mme de Sotenville à George Dandin : « Vous m’engloutissez le cœur, parlez de loin. » Elle lui parle au contraire le plus près possible, en lui mettant le poing sous le nez et en accusant ce vilain hypocrite de vouloir déshonorer son enfant. Le père, qui est l’un des plus rudes paroissiens de Trastevere, engloutirait lui-même le malheureux Cassandrino, ou tout au moins l’assommerait sur la place, si l’épouse bien vengée n’implorait généreusement son pardon.

Nous voudrions compléter cette analyse du répertoire du théâtre Fiano, en citant quelques-unes de ces scènes que les Romains appelaient hardies, parce que sous le voile fort peu transparent dont on l’avait affublé, les spectateurs pouvaient trouver à Cassandrino des traits de ressemblance avec quelques-uns des célibataires âgés de la cour oligarchique et religieuse qui gouverne Rome ; mais ces petites pièces dans lesquelles, selon l’expression si juste de l’écrivain qui nous a le plus spirituellement parlé de l’Italie[1], les spectateurs coiffaient ce personnage séculier de la calotte rouge d’un cardinal, ou le chaussaient tout au moins des bas violets d’un monsignore, ces pièces, depuis Léon XII, sont soigneusement interdites. Cassandrino, en vieillissant, est d’ailleurs devenu d’une timidité plus que prudente sur ces matières réservées. À peine se permet-il l’allusion, et encore de la façon la plus détournée. Cassandrino maintenant ne craint plus tant de faire un éclat, car il sait fort bien qu’il ne compromet plus son avenir. Aussi, quand un frère le surprend aux genoux de sa sœur, lui parlant d’amour, comme dans le petit drame de Cassandrino élève en peinture, dont l’ingénieux écrivain que nous citions tout à l’heure nous a

  1. M. Beyle.