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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

tête ; puis, sans lui laisser le temps de se reconnaître, elle le présente à son père le corroyeur, à son oncle le charcutier, à son cousin le fruitier. Cassandrino salue très profondément chacun de ces intéressans personnages, et chacun d’eux a grand soin de lui parler comme à un futur membre de la famille. Cassandrino se trouve engagé ; mais comme l’eminente lui semble adorable, il en prend fort bien son parti.

Ce qui fait tout le piquant de cette scène de la présentation, c’est l’air de politesse parfaite de Cassandrino et le beau langage qu’il affecte d’employer avec chacun de ses futurs parens, tandis qu’au fond il les méprise souverainement, et qu’il laisse même percer au dehors ce mépris par d’insolens à parte et par la manière aristocratique avec laquelle il estropie leurs noms. On voit que si la passion l’emporte, il ne se fait pas illusion ; plus tard il se promet bien de remettre chacun de ces drôles à leur place ; c’est avec ce mot plus tard que la faiblesse se tire toujours d’affaire. Cassandrino, comme tous les vieillards passionnés, songe d’abord à se satisfaire, et remet au lendemain l’examen du fâcheux côté des choses et la solution des embarras. Ce caractère est donc très finement tracé, et les situations qui aident à son développement sont bien choisies, dénotent une véritable connaissance du caractère humain, et ne seraient pas indignes d’un théâtre plus relevé. Telle est, par exemple, cette jolie scène dans laquelle Cassandrino reçoit la visite de deux grandes dames de sa famille. Le bruit du prochain mariage de leur cousin avec l’eminente est venu jusqu’à elles ; elles viennent lui faire des remontrances et l’engagent à ne pas se mésallier en épousant une fille des marchés ; au lieu de songer à déshériter ses parens, ne devrait-il pas penser qu’il a des cheveux blancs, et qu’il est temps de mener une conduite plus exemplaire ? Cassandrino a écouté avec un sang-froid merveilleux les remontrances de ses parentes. Quand elles ont fini, il leur fait des complimens sur leur bonne mine, leur air de jeunesse et l’excellent goût de leurs parures. Celles-ci reviennent à la charge ; Cassandrino les accable de choses flatteuses, leur parle de leurs enfans, qui sont de petits prodiges, et il demande à la plus vieille des nouvelles de son chien Parpaglione (papillon), qui est bien la plus délicieuse petite créature qu’il ait jamais vue. Les deux dames s’impatientent, l’appellent vieux débauché et se lèvent pour sortir. Loin de se fâcher, Cassandrino les reconduit galamment jusqu’à la porte, les saluant jusqu’à terre et les chargeant d’un million de complimens pour leurs amours d’enfans et pour l’adorable Parpaglione.