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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

Le géant appelle ses gardes, et veut le faire décapiter. « Allons, l’instant est venu ! courage, mon ami ! » Et Cassandrino se pend à la barbe du colosse, qui n’est plus que son très humble serviteur. Ces pièces finissent par des divertissemens et des ballets admirables de naturel et de mouvement. Ces petites poupées font les ronds de jambe les plus étonnans, se donnent des graces, battent des entrechats et pirouettent à qui mieux mieux. Les solos surtout sont merveilleux ; c’est la parodie la plus amusante des premiers sujets de San-Carlo ou de la Scala. L’illusion est vraiment singulière. Mais croirait-on jamais que la pudique censure romaine ait eu la folle idée de faire porter des caleçons bleu de ciel à ces ballerines de dix pouces de haut ? Pour compléter le ridicule, il aurait fallu interdire les coulisses du théâtre aux spectateurs, auxquels les voluptueux ronds de jambe de ces dames auraient pu donner des idées.

Nous achèverons de faire connaissance avec Cassandrino en le suivant au milieu des fêtes populaires du pays. C’est là surtout qu’il se montre franchement Romain, et qu’il se distingue par une activité d’esprit, une fraîcheur de sentiment et une mobilité d’allure fort singulière à son âge.

Lorsque les moissons et les vendanges sont faites dans la banlieue de Rome, qui n’est pas tout-à-fait aussi inculte qu’on l’a bien voulu dire, lorsque les premières bouffées des vents du nord ont rafraîchi l’atmosphère embrasée et emporté les fièvres d’été, le peuple romain se repose avec abandon des énormes fatigues que lui ont causées une vingtaine de journées de travail, durant lesquelles les uns ont rempli leurs caves et leurs greniers, et les autres ont gagné quelques écus en les aidant. C’est le moment des fêtes d’octobre, les plus animées après celles du carnaval. Le jardin de la villa Borghèse, ce parc sans égal au monde, est le lieu que les Romains choisissent de préférence pour se livrer à ces divertissemens. La villa Borghèse l’emporte même sur le mont Testaccio, cette colline de pots cassés. Des orchestres en permanence et des jeux de toute espèce s’y établissent ; on y boit du vin d’Orvietto et du vin doux autant que la bourse et la cervelle le permettent ; on y mange autant que des Romains peuvent manger ; on y gambade, on y danse, on y chante, on y hurle. C’est un spectacle de folle licence, de joie effrénée. La villa Borghèse, durant ces jours des fêtes d’automne, présente la fidèle image de ce pays de Cocagne si admirablement décrit par les poètes populaires du pays. De tous côtés, on y voit des feux de joie, des arcs de triomphe, de la bonne chère ; de tous côtés retentissent les chants et le bruit des