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dans une terrible colère contre son opiniâtre monture. Bataille entre Cassandrino et l’âne, qui gambade, jette à terre son cavalier, et s’enfuit en emportant la valise et les provisions du malheureux voyageur.

Nous retrouvons Cassandrino à l’osteria de Mala-Grotta. Il a rattrapé son âne, mais il a perdu son parasol. Il est tellement couvert de poussière, qu’on a peine à distinguer la couleur de son habit ; il est en outre si cruellement contusionné, qu’il ne peut s’asseoir, quoiqu’il soit rompu de fatigue, et la sueur ruisselle si abondamment de tous ses membres, que, comme Biblis, il a peur de se changer en fontaine. Le début est rude pour un homme qui aime ses aises ; aussi est-il déjà quelque peu dégoûté des voyages ; cependant il s’en faut qu’il soit au bout de ses peines.

Cassandrino, en arrivant à l’osteria de Mala-Grotta, a donné ordre à l’hôte de lui préparer un bon repas et de lui servir de son meilleur vin. Tandis que le dîner se prépare, Cassandrino, toujours tendre, et qui trouve l’hôtesse à son goût, papillonne autour d’elle, et, quand l’hôte tourne le dos, essaie de lui ravir un baiser. L’hôte s’est aperçu de la manœuvre du Lovelace ; il feint de n’avoir rien vu, mais lorsque Cassandrino se retourne pour embrasser sa femme, le rustre lui renverse sur les pieds un chaudron rempli d’eau à peu près bouillante. Cassandrino, rappelé de son paradis par cet avant-goût des peines de l’enfer, pousse des cris terribles. Fort heureusement pour lui l’eau n’était pas encore en ébullition, autrement il aurait eu les deux pieds cuits. Il en est quitte pour quelques échauboulures et pour une cuisson si douloureuse, qu’il en perd absolument l’appétit. Il ne faudra pas moins payer le copieux repas qu’on lui sert et auquel il ne peut toucher. En se levant de table, il met bien un poulet dans sa poche ; mais en se rasseyant il oublie le poulet, et son bel habit rouge est tout taché. Au moment de partir, l’hôte lui présente son compte. Cassandrino cherche vainement sa bourse ; sans doute il l’aura perdue au moment de sa chute. Il est obligé de donner sa montre de Genève en gage à l’aubergiste, qui ne veut pas le laisser partir sur sa bonne mine. L’aubergiste consent à lui remettre une dizaine d’écus sur ce gage ; Cassandrino les accepte en se résignant, et le voilà reparti sur son âne, qui paraît plus raisonnable.

Dans la scène suivante, Cassandrino arrive sur le théâtre poursuivi par des brigands. Griletto s’est emporté ; Cassandrino, à demi désarçonné, fait de vains efforts pour le modérer et pour retrouver l’équilibre, il finit par tomber lourdement au pied d’un grand arbre ; mais comme les brigands approchent et qu’il entend leurs grosses voix, il