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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

à son aise peut se faire. L’habit qu’il porte, il en a fait venir le drap de France, et c’est le tailleur de son excellence qui l’a confectionné. Un de ses amis qui arrive de Genève lui a vendu une belle montre à répétition, qui est un bijou pour le travail et l’exactitude ; Cassandrino la fait sonner. Enfin, la veille encore, il a changé sa tabatière d’écaille contre une tabatière d’or. Que de raisons pour être heureux ! et cependant le pauvre Cassandrino s’ennuie. L’anitra con oliva qu’on lui sert pour le régaler lui paraît coriace ; les olives sont rances, et il trouve amer le vin d’Orvietto que lui verse sa gouvernante. Sa gouvernante elle-même lui déplaît, elle vieillit ; Cassandrino la gronde, mais, comme il parle haut, le son de sa propre voix lui porte sur les nerfs. Enfin, il est si dégoûté et si mécontent de tout, que, s’il n’était pas bon croyant, il se pendrait. S’il ne peut se pendre, il va du moins mourir de langueur. Sur ces entrefaites arrive un de ses amis qui lui parle d’un voyage qu’il vient de faire à Civita-Vecchia. Le voyage à Civita-Vecchia est pour un Romain ce qu’est le voyage à Dieppe pour un Parisien. « Per Bacco ! je suis sauvé ! s’écrie Cassandrino ; moi aussi, je vais voyager. » Il fait sur-le-champ ses préparatifs, met quelques pistoles dans sa bourse, garnit bien sa tabatière, enfourche Griletto, son petit âne, derrière lequel il a attaché sa valise, et le voilà trottant sur la route de Civita-Vecchia, un parasol ouvert sur sa tête pour se garantir de l’ardeur du soleil. — Ce personnage, il faut en convenir, est ingénieusement inventé. Il est bien de ce monde ; ses habitudes ne sont pas exceptionnelles, et dans une ville comme Rome, où il est si difficile de cacher un ridicule ou une faiblesse, on peut toujours, à l’aide d’une parenthèse adroitement jetée ou d’un détail brodé sur le canevas de chaque jour et connu de tous, lui donner le mérite de l’à-propos.

Cette fois, Cassandrino a parfaitement choisi le moyen de se désennuyer, car son voyage est rempli de mésaventures et d’incidens de toute espèce qui lui font très vivement sentir l’existence. À peine a-t-il fait deux ou trois milles sur la voie Aurélia, qu’il rencontre un voiturin qui vient de Civita-Vecchia et qui se rend à Rome. Cassandrino se croit obligé de saluer les voyageurs et de leur faire quelques politesses ; ceux-ci, qui sont en goguette, lui jettent des pelures d’orange et l’appellent Galeotto, parce qu’il porte un habit rouge. Pour comble de malheur, Griletto, qui a fait un maigre déjeuner, et qui sent un sac d’avoine que le voiturin a attaché sous un paillasson derrière le carrosse, fait volte-face et suit obstinément le malencontreux équipage. Cassandrino supplie, menace, et finit par se mettre