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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

barbarie. Ceux qui se piquent d’austérité l’ont condamné avec colère ; les plus indulgens l’ont plaint. Ces emportemens sont peu raisonnables, et cette charité pourrait être mieux entendue. Cette facilité à s’émouvoir et à prendre à partie des ennemis imaginaires et même des fantômes est le propre des natures généreuses et naïves. Il n’y a que les gens blasés et les égoïstes qui restent toujours froids et raisonnables, qui calculent jusqu’à leurs émotions, et qui ne se passionnent que lorsqu’il le faut. D’un autre côté, doit-on réellement plaindre des hommes qui se rangent si volontiers du parti de leur plaisir, car se laisser aller à l’illusion du théâtre, c’est se tromper pour son plaisir ? C’est, dit-on, de leur part une sorte de prolongation de l’enfance ; mais où est le mal ? N’est-ce pas là au contraire qu’est leur bonheur ? Quelles jouissances sont plus vives que celles du premier âge ? et quels drames, dans l’âge mûr, nous ont jamais causé les mêmes émotions de surprise et d’intérêt que dans l’enfance les premières scènes venues d’un théâtre de marionnettes ? Plus tard nous analysons nos plaisirs, nous raisonnons nos jouissances, nous résistons de toutes nos forces à l’illusion, au lieu de nous laisser emporter par elle ; n’étant plus trompés, nous ne sommes plus émus, et partant nous cessons de jouir.

Les Romains se prêtent donc plus aisément peut-être qu’aucun autre peuple aux combinaisons plus ou moins vraisemblables de leurs arrangeurs dramatiques. Du moment qu’on les intéresse, ils sont satisfaits, et, loin qu’il faille les violenter, ils se livrent spontanément à qui les amuse. Il faut sans doute attribuer à cette heureuse disposition d’esprit l’inépuisable fonds de gaieté qui les console de tout, même de leur misère et de leur abaissement actuel. Cette gaieté est d’autant plus étrange, qu’une énergie sombre et contenue forme comme la couche la plus profonde, le tuf de leur caractère national. Cette gaieté surprendrait davantage si elle était plus franche et moins satirique. On a eu grand tort néanmoins de leur reprocher amèrement cette gaieté et de n’y voir qu’une sorte d’aveu, ou si l’on aime mieux d’acceptation tacite de l’état de dégradation où ils sont tombés. Il eût été plus exact d’en conclure que, sentant trop vivement cette même dégradation et comprenant trop l’impossibilité où ils sont de s’en relever, ils se faisaient pitié à eux-mêmes et se moquaient de leur manière d’être pour n’être pas obligés d’en rougir. Ce rôle, s’il est le plus philosophique, n’est peut-être pas le plus digne. Au lieu de plaisanter de leur avilissement, on aurait voulu qu’ils le sentissent ; au lieu de songer à se distraire de la perte de leur liberté, on aimerait mieux qu’ils s’en montrassent profondément affectés ; ils eus-