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REVUE. — CHRONIQUE.

ministère veut, ce qu’il a le droit et l’obligation d’essayer, c’est de dégager un fait réel, le fait que nous avons indiqué, de le dégager des nuages dont les préjugés et les passions l’enveloppent encore ; c’est d’appeler à lui, de toutes les fractions de la chambre, tous les hommes disposés à reconnaître cette nouvelle situation, tous les esprits sérieux, sensés, qui vont au fond des choses et ne se paient pas de vaines déclamations.

Qui pourrait méconnaître le travail de la réflexion et du temps sur le côté gauche de la chambre ? Évidemment, il s’est fait un mouvement général ; les places ne répondent plus à la pensée de ceux qui les occupent. Le centre gauche est au centre, derrière le ministère ; la gauche constitutionnelle est au centre gauche, et l’extrême gauche est sur le point de remplacer la fraction Barrot. On se fatigue à la longue de sa propre inutilité. Le talent, l’esprit, ne suffisent plus à cette tâche ingrate ; ils succombent sous ce tread-mill politique, qui ne produit jamais rien ni pour les travailleurs eux-mêmes, ni pour le pays. Qu’on ne s’empresse pas de nous accuser de niaiserie. Nous ne disons pas que tous les hommes de la gauche deviendront demain des hommes d’ordre et de gouvernement. Nous disons, et c’est notre ferme espérance, que le plus grand nombre sont disposés, les uns à se rallier au gouvernement, les autres à se placer à la chambre dans les conditions et les limites d’une opposition constitutionnelle. Au surplus, l’épreuve est facile : il n’y a aucun danger sérieux à la tenter ; il y aurait, à s’y refuser, un entêtement coupable. Le premier essai est un évènement, on ne l’a pas assez dit, on ne l’a pas assez fait remarquer. La gauche a voté publiquement les fonds secrets, les fonds de la police, les fonds dont on ne rend pas compte et qui sont particulièrement destinés au maintien de l’ordre. La gauche, en les votant, a abdiqué, elle a abdiqué ses préventions, ses préjugés, ses utopies. Elle les a abdiqués à la face de ses électeurs et de la France entière. On ne revient pas d’un tel vote, car on en reviendrait brisé, déconsidéré, politiquement annihilé. Les fonds secrets ; mais c’est le mot sacré de la maçonnerie gouvernementale. Une fois prononcé, on est initié. C’est à M. Thiers qu’est due cette grande initiation ; il est juste de le reconnaître. Seul il pouvait la faire. Aussi que répondait-il jeudi soir, lorsqu’on lui demandait où il avait pris tous ces suffrages, 103 voix de majorité ! « Là, disait-il, où l’on n’avait pas encore été les chercher. » Ce mot si spirituel et si juste donne la clé de toute la situation. On les y aurait cherchés inutilement jusqu’ici ; mais le moment de les y chercher était arrivé, et la plus saine politique commandait de ne pas y mettre de retard.

Une transformation s’est également opérée dans les rangs des 221. La discussion, le vote, et plus que tout leur attitude et leur conduite dans la chambre, ne laissent aucun doute à cet égard. Il y a, nous le savons, dans les 221, d’opiniâtres résistances contre le ministère, une vive répugnance pour les hommes de la gauche et du centre gauche. C’est naturel. Parmi les 221, il est des hommes qui ont les ressentimens implacables et les longues et vaines espérances des rois détrônés. Il n’est pas moins vrai que la majorité de cette fraction de la chambre se compose d’hommes réfléchis, prudens, qui redoutent