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les jours une ordonnance nouvelle et un régime sévère pour lui sauver la vie : le ministère n’accepte et ne caresse aucune opinion extrême. Il veut ce qui est ; il le veut aujourd’hui et pour long-temps ; il ne s’occupe pas d’un avenir lointain, car ce sont les affaires du pays qu’il est chargé de faire, et non des traités de philosophie politique ; il est chargé de gouverner la France et non de porter à la tribune un chapitre de Télémaque. Ainsi point d’équivoques dans l’ordre matériel, activité, développement, large progrès ; dans l’ordre politique, ce qui est appliqué avec la modération, la mesure qui appartiennent au gouvernement d’un pays calme et rassasié de commotions, ce qui est, avec une seule modification nettement définie des lois de septembre, et cette modification elle-même, présentée comme une amélioration convenable, et nullement comme la suppression d’un fait anti-constitutionnel ; enfin dans nos rapports internationaux, la paix et la dignité, la force et la modération, les intérêts du pays, mais surtout l’honneur français.

Si à ces conditions le ministère obtient une majorité, une majorité homogène, permanente, il vivra, il vivra avec dignité, avec utilité pour le pays. Il fera sortir le gouvernement et la chambre de cet état d’impuissance et de marasme qui dévore le présent et rend l’avenir si plein d’incertitudes et de périls.

S’il ne l’obtient pas, nous l’avions déjà dit, et le ministère l’a franchement et noblement répété, le cabinet se retirera avec honneur ; il abandonnera les choses et sauvera les personnes, qui, sans abaissement, sans diminution, fortes au contraire de leur noble tentative, de leur courageuse résolution, iraient grossir cette réserve d’hommes d’état qui pourront, aux jours difficiles, rendre de si grands services à la France.

Au surplus, tout annonce que cette majorité se forme, qu’elle s’élabore depuis long-temps par la force même des choses, et je dirais presque à l’insu ou contre le gré de ceux-là même qui en feront partie. Qu’on se rappelle les faits, et notre pensée deviendra évidente pour tous.

Et d’abord c’était un singulier spectacle, mais plein d’enseignemens et d’avertissemens, que celui de la chambre des députés pendant cette discussion. Qu’étaient les 221, l’ancienne majorité, le parti conservateur, les hommes de la résistance ? Hélas ! il faut l’avouer, une armée sans chefs, sans direction, sans discipline. Ils ont emprunté au parti social la parole noble, belle, et qui s’épure et se perfectionne tous les jours, de M. de Lamartine ; mais c’est un emprunt, un rapprochement artificiel. Entre M. de Lamartine et les 221, il n’y a ni précédens communs, ni identité de nature. M. de Lamartine a été obligé de légitimer ses pouvoirs à la tribune. Cela dit tout ; il n’était donc pas leur chef, il n’était que leur avocat.

MM. Teste et Duchâtel sont issus de la coalition. Et d’ailleurs, que peuvent, dans ces luttes, les ministres qui viennent de tomber ? Lorsqu’ils ne sont pas attaqués personnellement, rien ne leur sied mieux que le silence : c’est à la fois plus habile et plus digne. Le cabinet du 12 mai comptait dans ses rangs un homme qui, seul, aurait pu, sans trop d’inconvéniens, se mêler à pareil