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DU THÉÂTRE EN ANGLETERRE.

bonnement Guido et Ginevra. L’action se passe à Florence, sous le pontificat de Léon X. Ginevra, jeune fille sans fortune, aimée d’un gentilhomme nommé Antonio, dont les sentimens pour elle sont pleins de respect et de pureté, a épousé Agolanti, gentilhomme d’un âge mûr, d’un caractère soupçonneux, égoïste et dur. On parle beaucoup dans Florence des ombrages ridicules et des préoccupations jalouses d’Agolanti. Fidèle à ses devoirs, Ginevra, dont le caractère est tracé avec un charme parfait, renvoie sans les lire les lettres qui lui sont adressées par Antonio ; la jeunesse et l’amour de ce dernier ont mis dans ses intérêts caméristes, femmes de chambre, pages et tout ce qui entoure la jeune épouse. La société efféminée de l’Italie au XVIe siècle est réellement vivante dans le drame, et ce n’est pas un de ses moindres mérites. La dernière lettre d’Antonio, que Ginevra vient de renvoyer sans l’ouvrir, tombe entre les mains du mari. Il y trouve la preuve de l’innocence de Ginevra ; mais il se met à l’observer plus attentivement. La mélancolie de la jeune femme lui déplaît, et pendant qu’elle cause sur une terrasse avec plusieurs dames de ses amies, il s’approche d’elle, lui adresse des paroles de colère, s’irrite de sa résignation, et lui serrant les mains violemment : — Dans vingt minutes, lui dit-il, soyez dans la chambre rouge. M’entendez-vous, madame ? — Tout le monde se retire ; bientôt après, l’entrevue du mari et de la femme a lieu dans cette chambre rouge, petit oratoire italien orné d’une madone.


Agolanti. — Elle me contrarie en tout. Je lui ai dit de faire enlever ce portrait, elle ne l’a pas voulu. Elle sait mon respect pour la sainte madone, et que ma colère, toute juste qu’elle soit, n’éclatera point devant ce portrait. Sa piété même est un artifice… Maudite ! maudite !

(Agolanti ferme les battans de la niche dans laquelle se trouve la madone, présente un fauteuil à Ginevra et se tient debout à côté d’elle.)

Ginevra, gaiement — Cette pluie a rafraîchi l’air. Vous étiez sorti ce matin, j’avais peur qu’elle ne vous eût arrêté, ou que vous ne fussiez malade.

Agolanti. — Peur ! vous l’espériez. Vos craintes sont-elles mes craintes ! vos espérances sont-elles les miennes ? Madame, trêve à ces exordes et à cet intérêt prétendu qui ne servent qu’à vous éloigner de ce que vous redoutez réellement : moi ! C’est demain grande fête à Florence ; vous voulez y assister sans doute, vous qui tremblez quand une porte s’ouvre et quand une épingle tombe ? Trompettes et tambours, beaux remèdes pour des nerfs de femmes ! Un bon coup d’épée dans un tournoi, cela réveille les pleureuses timides !

Ginevra. — Je n’ai pas exprimé le désir de voir le tournoi, ni les fêtes, ni rien de ce que vous trouverez peu convenable.

Agolanti. — Assurément on ne demande rien, on ne désire rien ; on attend ce que le mari jugera convenable, pour avoir le plaisir de n’en rien faire.

Ginevra. — Je vous jure que je n’irai pas, et cela sans peine ; regardez la chose comme convenue.