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REVUE DES DEUX MONDES.

Lady Arundel. — Mensonge ! c’est un affreux mensonge !

Norman. — Oui, madame, je m’écriai qu’il en avait menti, et, saisissant le poignard qu’il tenait à la main, je le frappai au front. Vingt épées brillèrent autour de moi. Le pirate essuyant le sang que j’avais versé : Ce serait, leur dit-il, une mort trop douce. Qu’on l’attache à une planche et qu’on le jette à la mer. Leurs voiles se déployèrent, et je restai à la merci des flots, seul avec Dieu.

Violet, lui prenant la main. — Les larmes qui jaillissent de mon cœur remplissent mes yeux… et Dieu t’a sauvé !

Norman. — Tout un jour, toute une nuit, la fragile barrière entre la vie et la mort fut ballottée sur les flots. Le ciel apaisa les vents, et lorsque les étoiles se montrèrent, tout semblait si doux et si caressant, que, me souvenant des paroles de ce misérable, je murmurai : Les vents et les vagues sont moins barbares qu’une mère ! — Madame, vous pleurez.

Lady Arundel. — Est-ce que je pleure ? Continuez.

Norman. — Le jour parut. Brillante sous le soleil, une voile se montra, puis une banderole.

Violet. — Enfin !

Norman. — Mais elles passèrent sans me voir. Midi vint. Avec lui la soif et la famine ; les lèvres brûlantes, j’appelais la mort, j’essayais d’arracher mes membres et de les dégager des câbles qui pénétraient dans ma chair, je voulais m’abîmer dans les flots. Alors il me sembla qu’à travers la transparence des eaux, un objet se mouvait rapidement, noir, avec des yeux vitreux qui me poursuivaient ; le monstre de l’Océan qui s’attache aux vaisseaux pour trouver sa proie. La vie me redevint chère, et, avec un regard d’horreur fixe, la chevelure hérissée, je continuai à flotter, pendant que mes sens engourdis tombaient dans un terrible sommeil… Les yeux du monstre étaient toujours sur moi !

Violet. — Oh ! continuez…

Norman. — Je m’éveillai, et j’entendis la langue de mon pays ; des regards bienveillans se fixaient sur moi : étendu sur le pont, j’échappais à la mort ; Dieu avait veillé pendant mon sommeil.


Déjà les hommes de talent qui se sentaient doués du génie dramatique ont profité de la révolution opérée par Bulwer. Parmi eux se distingue Leigh Hunt, esprit singulier qui n’a jamais eu en Angleterre que des succès équivoques. Une certaine exagération passionnée, qui lui sert d’inspiration, et que ne corrige pas la force du jugement, s’accorde peu avec le génie national de l’Angleterre. Sa meilleure œuvre, selon nous, est sa dernière tragédie, intitulée : La Légende florentine. Conçue d’après les données de l’école sentimentale dont nous avons parlé plus haut, elle manque assurément de force, de variété, de péripéties. C’est toujours le style pathétique d’Euripide, moins efféminé et plus naturel que celui de Sheridan Knowles ; une histoire domestique agréablement mise en scène. La variété de la nature humaine et le grand spectacle du monde manquent à cette œuvre, qui cependant mérite par la simplicité et la passion qui y règnent une honorable distinction.

Leigh Hunt ne s’est pas mis en frais pour l’inventer ; c’est tout