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L’IRLANDE SOCIALE, POLITIQUE ET RELIGIEUSE.

tait le joug de l’Angleterre, pourvu que l’Angleterre, en échange, l’aidât à opprimer l’Irlande catholique. Ainsi depuis Henri VII une loi existait, la loi Poyning, qui subordonnait complètement le parlement irlandais au parlement anglais, et donnait à celui-ci le droit de régir l’Irlande sans elle et malgré elle ; mais toujours jusqu’aux lois pénales le parlement irlandais avait protesté contre cette loi. À dater de cette époque, les protestations cessèrent, et le parlement irlandais souscrivit à sa propre dégradation. Ainsi encore, il existait en Irlande des fabriques d’étoffes de laine très nombreuses, très riches, et qui entretenaient dans plusieurs comtés beaucoup d’aisance et d’activité. Ces fabriques, parce qu’elles portaient ombrage à l’Angleterre, furent anéanties presque sans réclamation de la part des prétendus représentans du pays.

En présence d’une telle politique, toutes réflexions seraient inutiles, et si l’on s’étonne, c’est qu’une nation de plusieurs millions d’hommes ait pu la supporter si long-temps. Ce n’est pourtant qu’en 1760 qu’éclatèrent les premières insurrections populaires. Encore ces insurrections n’eurent-elles alors aucun caractère politique ou religieux. Aux exactions des propriétaires et du clergé protestant, les petits fermiers répondirent par l’assassinat et par l’incendie ; mais rien n’annonçait encore qu’un grand mouvement, un mouvement national, se préparât. Il en fut autrement dix-huit ans après au moment de la guerre d’Amérique. Alors le sentiment du droit se réveilla, l’exemple des Américains agita les esprits, et l’Angleterre, effrayée et affaiblie, crut devoir conjurer l’orage en adoucissant les lois pénales. Peu de temps après, la guerre d’Amérique se prolongeant, la grande association des volontaires se forma dans le but apparent de résister à l’invasion étrangère, et cette association, espèce de parlement militaire qui choisissait ses chefs, discutait publiquement, votait des résolutions, et présentait des pétitions à la pointe des baïonnettes, commença, bien que composée presque exclusivement de protestans, à élever une voix hardie en faveur des principes éternels de la justice et du droit. On sait que le résultat de l’intervention des volontaires fut d’une part de nouvelles concessions aux catholiques, de l’autre l’abolition de la loi Poyning, et la reconnaissance formelle par l’Angleterre de l’indépendance du parlement irlandais.

Jusque-là la lutte n’était pas sortie du cercle des vieilles institutions anglaises, et des droits que ces institutions consacraient. Comme le remarque d’ailleurs très judicieusement M. de Beaumont, quelques-uns de ces droits ont toujours paru si sacrés en Angleterre,