Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/145

Cette page a été validée par deux contributeurs.
141
DU THÉÂTRE EN ANGLETERRE.

plus odieux qui se puisse trouver : vous aurez une détestable pièce, comme the Daughter. Sur les côtes nord du comté de Cornouailles, côtes âpres et désolées, dont le sable et les rochers sauvages recueillent chaque année mille débris de vaisseaux naufragés et de cadavres en lambeaux, habite une race d’hommes de proie, qui n’a pas d’autre moyen d’existence que de ramasser ces débris, d’épier la tempête, d’errer sur les promontoires, de tuer les mourans, et de dépouiller les misérables jetés à la côte. Ils se nomment les wreckers, du mot wreck (naufrage). On ne peut exercer sur eux aucune surveillance ; ils vivent loin des villes, sortent toujours armés, et leurs crimes même, atteignant des êtres sans défense et presque sans vie, échappent à la rigueur des magistrats, comme à l’observation de leurs concitoyens. Un poète anglais du XVIIe siècle a fait jouer à ces wreckers un rôle puissant dans un des drames bourgeois, brutaux et violens, sans éloquence, sans grandeur, mais non sans force, qui sortaient de sa plume. Sheridan Knowles, reprenant en sous-œuvre le même sujet, a cru l’embellir en créant une héroïne romanesque, fille d’un de ces wreckers, qui s’exprime comme une demoiselle de pensionnat, et jette au vent sauvage de la côte et aux raffales de l’Océan les plaintes sentimentales les plus ridiculement verbeuses. Rien de la force intime de Shakspeare, rien de la vérité saisissante et fine de ses portraits ; pas même la brutalité grossière de Southerne et de Lillo ; beaucoup de crimes, et de crimes révoltans ; puis, auprès de ces crimes, une fille élégiaque et parfumée, un vernis rose sur des cadavres. Quiconque a le sentiment de l’art et de son harmonie se sent révolté.

Nous venons de voir l’art dramatique faussé, en Angleterre, par deux influences diverses : l’analyse métaphysique et l’affectation sentimentale. Voyons ce qu’il est devenu, soumis à une autre action, celle de l’emphase épique. Paracelse émane de Wordsworth. The Daughter relève d’Otway. Le Côme de Médicis, dont nous avons parlé plus haut, est inspiré par Milton et Goethe.

La métaphore, l’allégorie, la personnification, trônent dans cette dernière œuvre, due à un homme de talent peu connu, M. Horne. L’idée première est une antithèse ; deux caractères en contraste : le père et le fils, le principe et la passion, la volonté et l’instinct, la force et la mobilité. M. Horne abuse de la rhétorique ; il montre le désespoir taillé dans la glace, étendu sur la grande route de l’existence, — le pied d’airain de la destinée aveugle, marchant sur des chemins pavés de couronnes, — l’horreur assise dans la chevelure hérissée de Médicis, et la tête d’un meurtrier se couronnant d’un