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REVUE. — CHRONIQUE.

fermeté, la même tenue, un égal esprit de conduite ; on ne veut exprimer qu’une pensée : c’est qu’il n’y a pas deux systèmes possibles de gouvernement pour quiconque veut la monarchie et la charte ; c’est que l’empire des faits et les nécessités politiques du temps forcent tout homme honnête et apte au gouvernement du pays à ne guère s’écarter de la ligne tracée. Sans mettre exactement le pied sur les empreintes laissées par ses prédécesseurs, il doit cependant se diriger vers le même but, suivre la même direction, employer les mêmes forces. Y a-t-il des différences entre une administration et une autre ? elles sont toutes dans l’habileté et dans la puissance morale des hommes du pouvoir.

Ces considérations sont devenues frappantes de vérité pour tout le monde depuis que la vague révolutionnaire s’étant graduellement affaiblie, tous les esprits se sont calmés, et toute exagération est devenue impossible sous peine de ridicule. Dès ce jour, la lutte entre le parti gouvernemental et l’opposition constitutionnelle n’était plus sérieuse ; elle ne pouvait plus du moins avoir pour objet que des questions secondaires, des questions d’affaires, des questions de pure application, les principes à appliquer étant les mêmes pour les deux partis. Dès le moment où la résistance, rassurée sur le maintien intégral du système fondé en juillet, n’avait plus rien à demander, rien à faire qui pût paraître exorbitant et inspirer des inquiétudes à ceux qui redoutent avant tout de voir fortifier l’ordre aux dépens de la liberté ; dès ce moment, dis-je, tout dissentiment profond disparaissait entre les deux partis ; dès ce moment, on pouvait différer d’opinion sur telle ou telle question particulière, on n’était plus ennemi ; il pouvait rester des antipathies de personnes, il n’y avait plus d’incompatibilité réelle pour les choses ; le langage pouvait ne pas être exactement le même, les actes des uns ne pouvaient guère différer de ceux des autres ; dès ce jour enfin, dès ce jour seulement, des cris de guerre, des combats acharnés n’auraient plus été qu’une sorte de comédie.

Cela est vrai pour tous ceux du moins qui avaient nettement aperçu le fond des choses, qui s’étaient rendu un compte exact de la situation des partis, pour ceux qui, véritables hommes politiques, savaient oublier les violences de la lutte parlementaire et imposer silence aux antipathies personnelles.

Cependant le rapprochement, quelque raisonnable, quelque nécessaire qu’il fût, ne pouvait être général. L’opposition constitutionnelle devait laisser en arrière des hommes honorables que le parti gouvernemental doit vivement regretter ; ce sont des consciences délicates, des esprits un peu raides que tout mouvement vers le centre effarouche, et que leur propre immobilité flatte comme une preuve solennelle de leur indépendance. Ils se plaisent à constater fièrement une qualité que nul ne leur refuse. C’est une exagération fort excusable, comme toute exagération d’un sentiment généreux, lorsqu’elle n’entraîne pas de funestes et irréparables conséquences.

Cette partie de la gauche que des scrupules respectables, de petites antipathies et peut-être un peu de susceptibilité retiennent sur les bancs de l’opposition, ne se ralliera jamais au parti radical. Elle veut sans doute le progrès ;