Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/1042

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1038
REVUE DES DEUX MONDES.

Au bourg de Loc-Tûdi je connais un saint prêtre ;
Enfans, nous avons eu long-temps le même maître ;
Aujourd’hui je recours à son sage entretien.
Sans vous dire son nom vous le devinez bien.
À vous de me guider en ce pélerinage,
Car pour vous, jeune fille, on ferait le voyage.
De grace, mettez-moi parmi vos matelots :
Je n’aime plus la terre et n’aime que les flots. »

À l’heure de midi nous étions en rivière.
Barba, la plus âgée, assise sur l’arrière,
Tenait le gouvernail ; à mes côtés, Tina,
Celle qui de sa voix si douce m’entraîna ;
Deux autres devant nous, dont l’une, blanche et grande,
Me fit d’abord songer aux filles de l’Irlande ;
Car les vierges d’Érin et les vierges d’Arvor
Sont des fruits détachés du même rameau d’or.

Donc, leur poisson vendu, les quatre batelières
En ramant tour à tour regagnaient leurs chaumières,
Reportant au logis, du prix de leur poisson,
Fil, résine et pain frais, nouvelle cargaison.
La rivière était dure, et par instans les lames
Malgré nous dans nos mains faisaient tourner les rames.
Nous louvoyons long-temps devant Loc-Maria.
Cependant nous doublons Lann-Éron, et déjà
Saint-Cadô, des replis de sa noire vallée,
Épanche devant nous sa rivière salée.
À côté de Tina quel plaisir de ramer
Et de céder près d’elle aux houles de la mer !

La vieille le vit bien : « Cette fois, cria-t-elle,
Tu tiens un amoureux, Corintina, ma belle !
— Oui-dà, lui répondis-je, et mieux qu’un amoureux :
Qui serait son mari pourrait se dire heureux. »
L’aimable enfant rougit (car déjà nos deux ames
Suivaient comme nos corps le mouvement des rames),
Et l’Irlandaise aussi, dans le fond du canot,
Nous sourit doucement, mais sans dire un seul mot.
— Çà, repartit la vieille, écoutez ! j’ai cinq filles,