Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/1031

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1027
POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

placée sur un tertre de gazon, porte le nom de Tibulle, et sur l’écorce du bouleau voisin on lit ces deux vers de Domitius Marsus :

Te quoque Virgilio comitem non æqua, Tibulle,
Mors juvenem campos misit ad Elysios
.

À quelque distance, une pyramide de marbre noir entre les ifs rappelle le souvenir de Lucain, mort à vingt-six ans, qu’on aime à croire victime de la noble hardiesse de sa muse, et peut-être de la jalousie poétique du tyran ; on y lit ces vers de la Pharsale :

......Me solum invadite ferro,
Me frustra leges et inania jura tuentem
.

......Ah ! ne frappez que moi,
Moi qui brave le crime et combats pour la loi.

Deux colombes sous un saule pleureur figurent les Baisers de Jean Second, mort avant sa vingt-cinquième année. On voit l’idée ; elle est suivie et variée jusqu’au bout. Malfilâtre et Gilbert n’y sont omis ; on y salue leurs marbres. Une corbeille de fleurs renversée offre l’emblème de la destinée de Millevoye, tombé de la veille. Chatterton, qui s’est tué, n’a qu’un rocher nu. André Chénier, à son tour, se rencontre et tient l’une des places les plus belles. Ainsi Loyson pressentait lui-même sa fin, et peuplait d’avance d’un groupe chéri le bosquet secret de son Élysée. Au centre, on remarque un petit édifice d’architecture grecque, avec une colonnade circulaire. Le ruisseau tourne autour, et on y entre par un pont de bois non travaillé : c’est une bibliothèque. Elle renferme les meilleurs écrits de ceux à qui le lieu est dédié : le choix a été fait sévèrement ; Loyson avoue, et nous devons avouer avec lui, qu’il retranche plus d’une pièce à Chénier[1]. Voici l’inscription qu’il place au fronton du temple :

Dormez sous ce paisible ombrage,
Ô vous pour qui le jour finit dès le matin,
Mes hôtes, mes héros, mes semblables par l’âge,
Par les penchans, peut-être aussi par le destin,
Dormez, dormez dans mon bocage…

  1. En même temps que Loyson regrettait que l’éditeur d’André Chénier eût trop grossi le volume, Étienne Becquet, le même que nous avons vu mourir voisin des Ménades, mais qui, je le crains, n’aura point sa place au bosquet, exprimait dans