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corde se détend, et l’esprit se remet à jouer. Il est poète de sens, de sentiment et d’esprit plutôt que de haute imagination. À M. Cousin, qui voyage en Allemagne, il dira spirituellement :

........Tu cours les grandes routes
Cherchant la vérité pour rapporter des doutes.

À M. Viguier, qui craignait de le voir quitter la poésie pour la prose polémique, il répond qu’il faut bien subir la loi de son temps, et, sans attendre la lenteur du vers, courir par momens à des armes plus promptes :

Diras-tu que jadis les affaires publiques
Offrirent plus d’un trait aux muses satiriques ?
Juvénal, flétrissant d’indignes sénateurs,
Exhalait en beaux vers ses chagrines humeurs ;
Je le sais ; mais tout change, et, de nos jours, pour cause
L’ultrà Sauromatas se serait dit en prose[1] ;
Sinon tu pourrais bien voir au Palais-Royal
Un pamphlet rouge ou blanc éclipser Juvénal.
Souffre donc quelquefois que, brisant la mesure,
Je mette de côté la rime et la césure
Et déroge un moment à mes goûts favoris,
Puisqu’enfin les lecteurs chez nous sont à ce prix.

  1. Ces deux vers sont volontiers cités, sans qu’on sache de qui. Il en est parfois ainsi avec Loyson. On sait de ses vers ; on en a la vague réminiscence dans l’oreille, comme de vers de Jean-Baptiste Rousseau ou de quelque autre ancien. Ainsi encore, par exemple

    Celui qui dès sa naissance
    Fut soumis à la puissance
    Du Dieu du sacré vallon,
    Des combats fuyant la gloire,
    Aux fastes de la victoire
    N’ira point graver son nom.

    À la voix de la Fortune,
    Il n’ira point de Neptune
    Tenter les gouffres mouvans,
    Ni, sur la foi des étoiles,
    Livrer d’intrépides voiles
    À l’inconstance des vents…

    C’est de lui. Toute cette ode, qui a pour titre : les Goûts du Poète, reste charmante de ton, de sobriété, de sens ferme et doux ; c’est de la bonne poésie du temps de Chaulieu, d’il y a vingt-cinq ans ou d’il y a un siècle.