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mais Poggio, plus hardi que Stentarello, ne s’attaque pas seulement aux ridicules du peuple : sa moquerie atteint à la fois le noble et le bourgeois, le tyran et l’esclave, le prêtre et le philosophe.

Qu’est-ce que le peuple ? se demande Poggio, citoyen d’une république qui pendant long-temps ne trouva rien de mieux à faire pour flétrir un homme que de l’inscrire sur le livre de la noblesse, ce qui n’empêcha pas cette république de se voir un beau jour métamorphosée en monarchie par un marchand qui avait fait fortune… Le peuple, ce sont des hommes comme vous et moi, et, le titre excepté, de patricien à plébéien je ne vois de différence que beaucoup d’insolence d’un côté et beaucoup de patience de l’autre. — À ce propos, il raconte l’historiette suivante.

« Un jeune patricien avait insulté un brave officier qui sortait du peuple ; celui-ci lui demanda raison de son insulte. — Y songez-vous, mon ami ? lui dit le patricien avec hauteur ; moi, vous rendre raison ! mais vous oubliez que ma noblesse date de plus de quatre siècles, et que ma famille a été illustrée par je ne sais combien de comtes, de princes, de cardinaux et de généraux de terre et de mer. — Je le sais parfaitement, répliqua l’officier ; mais ce n’est pas contre vos nobles ancêtres que je veux me battre, c’est contre vous. »

Poggio, secrétaire de trois papes, garde néanmoins son franc-parler. Martin V avait fait cardinal un imbécile qui riait toujours. — De quoi rit-il ? demanda à Poggio un Florentin qui se trouvait à Rome. — Il rit de la sottise du pape qui l’a fait cardinal. Poggio ne craint pas non plus de s’attaquer aux petits tyrans qui de son temps se partageaient les villes du centre de l’Italie ; Machiavel leur donnait des conseils, Poggio les poursuit de ses sarcasmes et se fait l’historien ingénieux de leurs méfaits. L’un d’eux, raconte-t-il dans ses facéties, avait appris qu’un riche commerçant de sa ville venait de recevoir une grosse somme d’argent ; il le fit saisir par ses gardes et conduire devant lui. — Il y a long-temps que tu es d’accord avec mes ennemis, lui dit-il, et je sais même que tu en caches quelques-uns dans ta maison. — Il est vrai, je suis coupable, et j’avoue mon crime, répondit le commerçant, homme d’esprit ; mais si vos ennemis sont entrés dans ma maison, c’est dans mon cabinet, et peut-être bien dans mon coffre-fort qu’ils se sont cachés ; que votre trésorier vienne avec moi, et je vous promets de les lui livrer tous jusqu’au dernier. — Le tyran se prit à rire, envoya son trésorier, et pardonna à un conspirateur qui s’exécutait de si bonne grace.

— Cela n’est pas vrai ! s’écrie une autre fois Poggio, chancelier de