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cules, un Italien voit plutôt des manières d’être plus ou moins fâcheuses que des sujets de moquerie. L’avarice, la misanthropie, la poltronnerie, la jalousie et toutes les péripéties de la passion paraissent à la plupart des Italiens des choses toutes simples, des nécessités de notre nature ; et du moment qu’une chose est naturelle, pourquoi s’en moquer ? On souffre de l’avarice autant qu’un avare, on évite un misanthrope, on comprend la peur, on l’avoue même, on plaint un jaloux, on console un amant trompé, on ne songe pas à en rire, on s’exposerait à se moquer de soi-même ; puis l’esprit italien est en général peu porté à s’égayer de ce qui fait souffrir ; ce genre d’esprit est tout-à-fait français ; en France, on rit de tout, même de sa propre souffrance. Un jeune homme bien élevé tombe de cheval sur le boulevart, se casse un bras et se relève en disant un bon mot ; un Italien dans le même cas jette les hauts cris. Cette disposition au rire, cette gaieté dans le malheur et la souffrance, nous sont venues sans doute par héritage ; ne sommes-nous pas les descendans de ces hommes du Nord qui combattaient en chantant et qui mouraient en riant ?

La censure du gouvernement et des prêtres fut une autre cause de l’infériorité de la comédie italienne. Les théâtres bouffes, où se jouaient ces farces populaires improvisées en partie (comedia dell’ arte), échappant seuls à la censure préventive, avaient seuls conservé une gaîté, sinon relevée, du moins franche et nationale ; cette comédie en langue parlée, toute différente de la haute comédie, ou comédie académique, écrite en italien pur, eût pu s’appeler provinciale, chaque province ayant son type comique : Bergame, Arlequin ; Venise, Pantalon ; Naples, Polichinelle ; Milan, Meneghino ; Rome, Cassandrino et Meopattaca, et Florence Stentarello. Quelques-uns de ces types s’étaient même popularisés chez les nations voisines, comme Polichinelle ou Punch à Londres, et Arlequin à Paris ; ce qui faisait dire à Voltaire, qui jugeait d’ensemble et un peu à la légère, qu’en fait de comédies les Italiens n’avaient que des arlequinades[1].

Aujourd’hui ce mot de Voltaire serait encore vrai, en ce sens qu’en Italie la farce seule intéresse et fait rire. Rien de plus niais et de plus ennuyeux que les rapsodies décorées du nom de hautes comédies, que de malheureux auteurs colportent des théâtres de Milan

  1. Voltaire, toujours flatteur quand on le flattait, écrivait à Goldoni : « Oh che fecondita ! mio signore, che purita ! aveta riscattato la vostra patria delle mani degli Arlechini. Vorrei intitolare le vostra comedia : l’Italia liberata dà Goti. »