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LES SCIENCES EN FRANCE.

prétexte que d’autres académiciens faisaient partie de la Société des Bonnes-Lettres, ils furent, de par la charte, déclarés ignorans dans tous les journaux. C’est alors que, comme je l’ai déjà dit, le public commença à être admis à l’Académie, où il se fit le soutien des hommes qui ne voulaient pas briller uniquement par la science. Laplace fut réduit au silence, M. Biot s’absenta de l’Institut pendant plusieurs années, et M. Arago resta maître du champ de bataille.

Durant cette longue querelle, cet habile physicien n’avait fait guère que des communications verbales à l’Académie, tandis que son infatigable adversaire ne cessait de lire de longs et importans mémoires. Tous les savans regretteront que depuis trente ans M. Arago n’ait pas pu rédiger la seconde partie, qu’il avait promise au public, du seul mémoire qu’il ait inséré dans les volumes de l’Institut. Le temps (c’est l’auteur qui le dit) lui manqua alors, et malheureusement il lui a toujours manqué depuis. Cependant un homme d’un talent supérieur et dont la France devra toujours déplorer la fin prématurée, Fresnel, intervint dans la lutte et se chargea de fournir des armes à l’adversaire de M. Biot. Les découvertes de Fresnel resteront toujours dans la science, non pas seulement par l’importance des résultats, mais aussi par le talent avec lequel l’auteur a su les prévoir, les déduire les uns des autres et en former un des plus beaux systèmes scientifiques qui aient jamais été imaginés. Quelles que soient dans l’optique les destinées futures de l’hypothèse de l’émission ou de celle des ondulations, on devra toujours admirer la sagacité infinie avec laquelle Fresnel a su se diriger dans ses recherches à l’aide des principes théoriques qu’il avait adoptés, et il sera perpétuellement à regretter que ses amis n’aient pas pu l’arracher à la position subalterne dans laquelle il a vécu, ni le soustraire aux pénibles fonctions qui ont usé le reste de ses forces et contribué sans doute à précipiter dans la tombe, à la fleur de l’âge, un des plus ingénieux physiciens.

Si vous rattachez ce qui précède à ce que je vous ai déjà dit, monsieur, sur les fautes de la restauration et sur l’appui que le public et la presse avaient accordé à l’Académie des sciences, vous comprendrez quel ascendant devaient assurer à M. Arago, d’un côté ses succès contre M. Biot, et d’autre part le mouvement politique qui s’opérait dans les esprits. Ce fut alors l’époque la plus brillante de sa vie et il faut reconnaître hautement que l’emploi qu’il fit d’abord