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pense de longs et pénibles travaux. À ce moment, le plus bel avenir se déroulait devant lui. Pendant que les plus anciens académiciens, au milieu desquels brillaient Lagrange, Laplace, Monge, Jussieu, Delambre, Berthollet, dictaient des lois à toute l’Europe, une foule de jeunes savans marchaient sur les traces de ces grands maîtres, et promettaient de continuer leur gloire. Et certes, les destinées futures de la science, confiées aux mains des Cuvier, des Poisson, des Tourier, des Cauchy, des Biot, des Dulong, des Ampère, des Geoffroy, des Gay-Lussac, des Thénard, des Malus, des Brongniart, des Mirbel, des Fresnel, des Magendie, des Blainville, semblaient devoir grandir sans cesse, et M. Arago n’avait qu’à suivre de si beaux exemples pour se créer, par des travaux solides, une réputation européenne. Mais la facilité de ses premiers succès, une certaine indolence que malheureusement il n’a jamais pu surmonter, la disposition particulière de son esprit, qui semble plus propre aux aperçus brillans et soudains qu’aux vastes conceptions, aux recherches longues et opiniâtres et aux théories élevées, le portèrent peu à peu à abandonner l’étude des mathématiques, à négliger l’astronomie théorique, et à ne chercher dans la physique, à laquelle il se livra presque exclusivement, que les faits curieux et singuliers, qui frappent, il est vrai, vivement l’imagination, mais qui sont aussi souvent le résultat d’un hasard heureux que de l’habileté de l’observateur.

La belle découverte de Malus sur la polarisation de la lumière éveilla dès l’origine l’attention des savans, et l’optique devint un sujet de recherches à l’ordre du jour. M. Biot et M. Arago s’y livrèrent des premiers. Malheureusement, au lieu de servir à resserrer les liens qui les unissaient, cette communauté d’études devint entre eux la source de discussions animées qui finirent par une rupture éclatante, et l’Académie fut souvent émue par les luttes de ces deux rivaux qui, dans la chaleur de leurs débats, se laissèrent parfois emporter beaucoup trop loin, surtout en discutant des questions toujours si délicates de priorité. D’autres savans se mêlèrent à ces discussions ; et comme Laplace, qui voulait que l’on fût géomètre avant tout, avait semblé prendre parti contre M. Arago, on lui suscita des ennemis de toutes parts, on grandit exprès Legendre pour le lui opposer, on tendit la main à tous ceux qui attaquaient les résultats contenus dans la Mécanique céleste, et l’on remua toute la presse libérale pour la lancer contre nos anciennes gloires, qui, disait-on, n’étaient plus que de vieilles idoles qu’il fallait briser. Parce que le géomètre Laplace était devenu le marquis de la Place, sous