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public suffisait à sa véritable gloire, et les membres les plus illustres de ce grand corps, parmi lesquels il faut citer Laplace et Cuvier, qui savaient que la haute science ne peut jamais être expliquée directement à la foule sans perdre de sa rigoureuse et indispensable sévérité, s’efforçaient de maintenir cette demi-publicité. Mais les fautes du gouvernement rendirent vains leurs efforts ; car, lorsqu’on vit annuler la nomination d’un homme tel que Fourier, lorsqu’on s’aperçut que la congrégation se mêlait à toutes les élections, on eut peur et l’on se jeta dans les bras de quelques gens habiles qui, appelant au secours des libertés académiques le public et la presse, saisirent avidement cette occasion d’augmenter leur influence et de se poser en protecteurs de la science. Nous sommes blasés aujourd’hui sur toutes sortes d’émotions, et nous nous rappelons à peine les jours où une élection à l’Académie des sciences remuait toute la société parisienne, et où les portes de l’Institut étaient assiégées par la foule avide de savoir si c’était le candidat de la cour ou celui de l’opposition qui avait eu le dessus. Le lendemain de la bataille, les journaux, racontant les incidens de la lutte, distribuaient les éloges aux libéraux, qui, comme de raison, avaient seuls la science en partage, et il n’y avait pas assez d’injures pour leurs adversaires, non-seulement désignés au public comme de mauvais citoyens, mais devenus par là même des ignorans, fussent-ils des Cauchy ou des Ampère. Il faut l’avouer, les hommes les plus éminens de l’Académie laissèrent alors échapper l’occasion d’assurer leur ascendant, qu’ils auraient affermi à tout jamais, s’ils avaient consenti à suspendre leurs travaux pour se jeter hardiment dans une lutte qui intéressait si profondément l’indépendance du corps auquel ils appartenaient. Par suite de leur inaction, il surgit d’autres influences qui ne prirent pas toujours naissance dans les véritables titres scientifiques, et ces influences, s’exerçant d’abord pour la défense de l’Académie, furent aidées par la voix de tous ceux qui croyaient avoir besoin d’appui et qui sentaient la nécessité de créer une grande réputation scientifique aux protecteurs qu’ils se donnaient. Prônés par la plupart de leurs confrères et par les journaux libéraux, ces protecteurs acquirent bientôt un ascendant à l’Académie et une réputation dans le public qu’ils auraient eu de la peine à obtenir si rapidement par leurs travaux.

Je viens de vous dire, monsieur, que ces résultats furent dus principalement à la publicité. D’abord il n’y eut que des communications officieuses avec quelques journalistes et surtout avec les rédacteurs du Globe ; puis on en admit quelques-uns aux séances, et l’on aug-