Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/798

Cette page a été validée par deux contributeurs.
790
REVUE DES DEUX MONDES.

ne pas irriter certaines susceptibilités, de ne pas blesser l’amour-propre des personnes dont on doit parler. S’il ne s’était agi que de satisfaire votre curiosité, j’aurais gardé le silence ; mais puisque vous ne voulez vous instruire de ce qui arrive chez nous que pour tâcher d’introduire dans le pays où vous exercez une si belle influence, des institutions semblables à celles qui font notre gloire, tout en vous efforçant de le préserver des inconvéniens que nous n’avons pas su toujours éviter, je crois devoir surmonter mes scrupules et me lancer sans plus hésiter sur cette mer périlleuse. En dehors de toute coterie, cultivant les sciences pour satisfaire un besoin de mon esprit sans aspirer à la renommée, je pourrai observer ce qui se passe, et vous en rendre compte mieux peut-être que ne sauraient le faire ces savans illustres qui sont quelquefois un peu éblouis par la lumière qu’ils répandent et par l’éclat dont ils sont entourés.

La France est par excellence la patrie des sciences. Non-seulement, depuis Pythéas jusqu’à nos jours, elle n’a cessé de produire des hommes éminens, mais depuis deux siècles elle s’est placée au premier rang, et chaque année a été marquée par de nouveaux progrès. Ce ne sont pas uniquement quelques esprits supérieurs qui ont contribué chez nous à l’avancement des connaissances humaines ; c’est surtout par l’ensemble et par l’admirable succession de leurs travaux que, depuis la création de l’ancienne Académie des sciences, nos savans semblent avoir fixé à Paris le foyer des lumières. La noblesse du caractère français a ouvert les portes de nos académies aux hommes distingués de toutes les nations, et cette générosité, qui n’a été égalée par aucun autre peuple, n’a pu qu’augmenter notre influence en élevant notre position. En effet, c’est le hasard seul qui a fait naître Huyghens en Hollande et Lagrange à Turin ; mais l’accueil que ces hommes célèbres ont reçu chez nous, les bienfaits et les encouragemens de Louis XIV, qui allaient chercher le mérite dans toutes les parties de l’Europe, ne sont point des accidens. On essaierait en vain de le nier : depuis cinquante ans, Paris est devenu le centre du monde ; les questions les plus élevées de la politique, les découvertes scientifiques les plus éclatantes, ont eu besoin d’être traitées à la chambre des députés ou présentées à l’institut de France pour que l’Europe les acceptât sans réclamation.

Vous connaissez trop bien notre histoire pour que j’aie besoin de vous dire comment nos institutions littéraires et scientifiques furent englouties par la révolution. L’Université de Paris, presque aussi ancienne que la monarchie, fut précipitée avec elle au fond d’un gouf-