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grave. Son insistance excite le courroux du roi, qui lui adresse ces sévères paroles : « Si vous présumez qu’il y a ici quelque mystère, puisque je ne vous en fais pas confidence, il est plus qu’indiscret à vous de vouloir le pénétrer. Je vous ai pris pour mon serviteur et non pas pour mon conseiller, et la meilleure manière de servir les rois, c’est d’obéir scrupuleusement à leurs ordres. »

Don Pèdre se fait conduire à la prison où don Tello attend l’heure de son supplice. Déjà le jour a disparu. Enveloppé dans son manteau, et déguisant soigneusement sa voix, le roi pénètre auprès du prisonnier et lui annonce qu’il vient lui rendre la liberté. Ce n’est pas sans quelque hésitation que don Tello se décide à suivre ce libérateur inconnu.


Le Roi. — Suivez-moi, ne perdez pas un moment, si vous voulez que l’ordre barbare du roi ne reçoive pas son exécution.

Don Tello. — Il lui a fallu toute sa puissance pour me réduire à cet état… Quelque terrible qu’il soit, je voudrais le rencontrer seul à seul, dans un lieu où la majesté royale n’élèverait pas une barrière entre lui et moi.

Le Roi. — Je sais que vous êtes vaillant, et c’est votre réputation qui m’a inspiré le désir de vous sauver… Nous voici arrivés dans le parc du palais ; nous y sommes plus en sûreté.

Don Tello. — Éloignons-nous des murs, je crains que le roi ne nous aperçoive.

Le Roi. — Vous avez donc peur de lui ?

Don Tello. — Si la question était d’homme à homme, si je le rencontrais ici corps à corps, peut-être la crainte ne serait-elle pas de mon côté ; mais le pouvoir royal est un adversaire bien fort et sur lequel le courage personnel a peu de prise…

Le Roi. — J’aperçois quelqu’un qui s’avance vers nous.

Don Tello. — Sans épée, je ne puis aller le reconnaître.

Le Roi. — Prenez la mienne, je vais en chercher une autre que j’ai laissée à l’arçon de ma selle ; ne vous éloignez pas d’ici.


Le roi ne tarde pas à revenir, mais d’un autre côté que celui par lequel il s’est éloigné. S’avançant vers don Tello, qui ne reconnaît pas son libérateur, il lui demande ce qu’il vient faire la nuit dans ce parc, et veut l’obliger à dire son nom. Après avoir échangé quelques paroles de provocation et de défi, ils mettent l’épée à la main. La victoire reste quelque temps indécise, mais don Tello est enfin désarmé.


Le Roi. — Reprenez votre épée.

Don Tello. — Cela m’est impossible, mon bras est engourdi.

Le Roi. — Avez-vous peur de moi ?

Don Tello. — Peur, non ; mais je vous porte envie, puisque vous m’avez vaincu. Qui êtes-vous donc, homme audacieux ? Vous ne savez pas de quelle gloire vous venez de vous couvrir.