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Il y a là un problème historique que M. Saint-Hilaire aborde avec une science curieuse et patiente, et dont il cherche la solution dans l’étude approfondie des lois et des institutions nationales. Au XIIe siècle encore, il retrouve et signale, chaque fois qu’il les rencontre sur sa route, les derniers vestiges du code gothique ; il note ce qui meurt et ce qui survit de cette législation barbare, quelle empreinte elle laisse aux mœurs, quelles formules elle lègue au droit. Il examine tour à tour les fueros, espèce de chartes municipales octroyées par les rois ou les hauts barons, les institutions militaires, et ces ordres guerriers de Calatrava, d’Alcantara, de Santiago, dont les moines armés, noirs de hâle et de soleil, n’aimaient, disait-on, que Dieu, la guerre et les chevaux rapides. En débrouillant ainsi le chaos des fueros provinciaux, l’auteur expose nettement tous les inconvéniens, tous les avantages du système municipal espagnol, et fait connaître d’une manière satisfaisante les rapports des villes entre elles, les obstacles que les institutions particulières présentaient aux progrès de l’unité monarchique, l’état de la commune dans le royaume, et l’état de l’homme privé dans la commune.

La tâche laborieuse que s’est imposée M. Rosseeuw Saint-Hilaire est loin d’être accomplie, et ce qui reste à publier de son livre présentera un intérêt non moins soutenu. Les plus grandes époques n’ont point encore été abordées. L’Amérique, Charles-Quint, Napoléon, trouveront place dans son œuvre, qui se continuera jusqu’en 1830. Cette œuvre sera donc complète, et remplacera sans retour bon nombre de livres français relatifs à l’histoire de la Péninsule. L’Abrégé chronologique de Desormeaux, historiographe de la maison de Bourbon, le travail de Macquer et Lacombe, ne sont que des compilations exactes qui ne sauraient mériter le nom d’histoire. Le père d’Orléans et l’abbé Bertou n’ont pas une valeur plus durable. Pour savoir quelque chose de sûr et d’exact sur l’Espagne, il fallait donc recourir aux sources. C’est là un rude labeur dont quelques rares érudits ont seuls le courage, et tous les esprits sérieux qui s’intéressent aux études consciencieuses et persévérantes sauront bon gré à M. Saint-Hilaire de leur avoir révélé tant de faits curieux, et restés comme inédits jusqu’à ce jour dans les chroniques arabes et espagnoles. On pourrait bien adresser à l’auteur quelques objections, lui reprocher par exemple certaines formes de style qui rappellent trop la Gaule poétique, certaines déductions philosophiques qui manquent de précision et de netteté ; mais, en somme, l’Histoire d’Espagne est un livre très estimable, très consciencieux, et qui prendra rang.


V. de Mars.