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REVUE LITTÉRAIRE.

Le premier des ministres célestes est Hamza, l’Intelligence, qui a paru dans toutes les révélations depuis Adam, sous divers noms : Pythagore, David, Eléazar, etc. C’est lui qui frappe les disciples du polythéisme et de l’irréligion, qui démontre les vérités et conduit les hommes dans les voies de l’obéissance, vers le Dieu miséricordieux. — Le second est Ismaïl[1], l’Ame. Il a paru du temps de Hamza sous le personnage d’Abou-Ibrahim, fils de Mohammed-Témimi. Hamza lui donna l’investiture, et déposa en lui ses secrets et sa sagesse. Hamza, disent les livres des Druzes, c’est le mâle, Ismaïl la femelle. Leur union est nécessaire à la production des ministres et des fidèles. Il faut qu’ils agissent de concert pour donner la lumière, comme l’amadou et la pierre à feu pour donner l’étincelle. — Le troisième ministre est Mohammed, fils de Wahab, ou la Parole. C’est le premier fruit né de l’Intelligence et de l’Ame. Il est chargé de l’enseignement religieux, de surveiller les rites et cérémonies, de s’enquérir du bien et du mal, de punir les coupables, d’imposer les pénitences. — Le quatrième ministre est Sélama ou l’Aile droite. Sa vie réelle, comme sa vie figurative, est entourée d’impénétrables mystères. — Le cinquième ministre, enfin, est l’Aile gauche ou Aboul-Assan-Ali. Il a joué un grand rôle dans le développement de la religion unitaire, et il est l’auteur de la plupart des traités qui composent le recueil religieux des Druzes. — Ces divers ministres ont tous annoncé la divinité du khalyfe avec des voix « pareilles à celle du tonnerre ; » ils sont au sommet de la hiérarchie théocratique, rangée autour du céleste trône de Hakem.

Jusqu’ici nous ne sommes pas sortis du ciel. Après Dieu, révélé dans Hakem, après les intermédiaires entre la cause et l’effet, adorés dans les ministres divins, on arrive à la création, et ici les bizarreries abondent plus que jamais. Les choses ont été formées, dès leur origine, dans l’état où nous les voyons aujourd’hui. Au premier jour il y eut par milliers des habitans de tout sexe et de tout âge. Chaque homme était né sachant son métier. Dès l’abord pourtant, et avant les siècles, tout cela n’existait qu’en imagination, et se réalisa par un effet de la toute-puissance du créateur. Ensuite les ames passèrent successivement d’un corps dans un autre. L’ame d’un unitaire passe dans une figure unitaire, celle d’un polythéiste dans la figure d’un polythéiste. La masse des êtres humains n’est susceptible ni d’augmentation ni de diminution ; car, si le monde augmentait seulement à chaque millier d’années d’un seul individu, la terre deviendrait à la fin trop étroite pour contenir l’humanité ; s’il diminuait, au contraire, d’un seul individu par chaque millier d’années, le globe, à la suite des siècles, demeurerait désert. Cette absurde immobilité de la théogonie des Druzes n’est pas seulement dans le chiffre de la population, elle est aussi dans le fond même de leur doctrine. En effet, les ames des infidèles, lors même qu’elles ont paru se réunir à la religion unitaire, finissent toujours par retourner à leur nature perverse et cor-

  1. On a de cet Ismaïl divers écrits, l’un intitulé le Cierge, l’autre le Cantique de l’ame. Ce dernier est un poème.