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mahométanes au développement des hérésies chrétiennes ; ce sont des causes, une marche, des résultats identiques. Le Koran au contraire ne peut subir aucun rapprochement sérieux avec l’Évangile ; pour être tout-à-fait juste, il faudrait même mettre à part quelques-unes des vastes hérésies chrétiennes, comme le pélagianisme et la réforme, auxquelles rien ne correspond chez les mahométans. On ne peut nier qu’il y ait là une certaine grandeur. L’islamisme au contraire a ses proportions restreintes, et, malgré les similitudes, l’erreur chrétienne a le plus souvent encore l’avantage. Pour ne prendre qu’un exemple, nos schismatiques et nos sectaires d’Occident ont professé quelquefois sur Dieu, sur sa nature, les opinions les plus extravagantes ; eh bien ! ce sont là miracles de sagesse et de raison auprès des croyances de quelques tribus musulmanes. En Europe, nous avons quelquefois prêté à l’être en soi des formes singulières, mais sans nous le représenter, à la façon des Hischanni, comme une masse de métal fondu, sans lui donner, avec les Djoulakis, une figure humaine accompagnée d’une bouche, d’oreilles et de poils tout noirs, sauf la barbe, sans soutenir surtout que sa moitié supérieure est concave, sa moitié inférieure solide, et qu’il est pourvu de cinq sens en n’ayant ni chair ni membres.

Parmi les plus insignes folies des hérésies mahométanes et de l’esprit humain, il faut compter les dogmes des Druzes. Ces dogmes étaient restés jusqu’ici couverts d’un profond mystère. Quelques fragmens des livres druzes, rapportés à de longs intervalles par des missionnaires ou des voyageurs, étrangers la plupart aux études sérieuses, ne suffisaient pas à éclairer l’histoire de cette remarquable secte. Nasr-Alla-Bin-Gilda, médecin syrien, avait eu grand’peine à se procurer, en Orient, l’exemplaire du Livre des témoignages des mystères de l’Unité, dont il fit hommage, en 1700, au roi de France. Ce précieux document, ignoré de la science, devait attendre plus d’un siècle la mise en œuvre et la lumière. Vers 1763, un compilateur, Puget de Saint-Pierre, avait fait paraître, il est vrai, une Histoire des Druzes, et, depuis, un savant danois, Adler, leur consacra quelques recherches dans le Museum Kuficum. Mais tout cela était fautif, incomplet, mal renseigné ; on savait seulement que les Druzes, dispersés dans le Kaire, aux environs d’Alep, avaient leurs habitations principales sur le Liban, le long des côtes de la Syrie, qu’ils étaient maîtres de Barout, et qu’ils occupaient environ mille bourgs ou villages, vivant du commerce de soie, de vin et de salpêtre.

Les Druzes adorent comme dieu le troisième khalyfe fathimite d’Égypte, Hakem-Bem-Rillah. Or, on se rappelle la vie de Hakem, ce long règne de vingt-sept années, ce mélange monstrueux d’extravagances et de cruautés. Le khalyfe avait onze ans, quand il commença de régner, l’an 386 de l’hégyre, c’est-à-dire vers la fin du Xe siècle de notre ère. Son naturel féroce s’exerça d’abord contre un rival. Il fit enchaîner le prétendant vaincu, pieds et poings liés, sur un chameau, et un singe fut attaché à ses côtés, qui frappait incessamment avec une pierre la tête du patient jusqu’à lui briser le crâne. Le trait le plus marqué du caractère de Hakem fut une inconstance sans bornes, une