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REVUE LITTÉRAIRE.

assortie à celle des sujets, où il ne se rencontre (mérite rare !) aucune sortie déclamatoire et de mauvais goût ; mais on n’y distinguerait rien de particulièrement littéraire. Fontenelle, cité quelque part par M. Flourens, a dit que ce qui ne doit être embelli que jusqu’à une certaine mesure précise, est ce qui coûte le plus à embellir. » M. Flourens, dans ses Éloges, est encore bien en-deçà de cette mesure discrète et permise, de l’embellissement grave qui sied à la science. Il aurait au besoin à se souvenir un peu plus, en écrivant, de Vicq-d’Azir et de Condorcet. Philosophe de cette dernière école, de celle de Tracy et de Cabanis, il a eu, dans le cas présent, cette piquante et méchante fortune d’être porté à l’Académie française par une coalition de littérateurs tous plus étrangers à la science les uns que les autres (j’en excepte l’honorable M. Lemercier), par des faiseurs de petits vers, d’opéras-comiques, par des royalistes boudeurs, par des hommes enfin qui, certainement, l’appréciaient moins directement en lui-même qu’ils ne repoussaient par son moyen M. Victor Hugo. N’est-ce pas là un tort réel qu’a eu M. Flourens de se prêter à servir ainsi d’instrument ? Ne le sent-il pas aujourd’hui ? Ces nuées d’épigrammes qui lui pleuvent sur la tête depuis quinze jours, qu’a-t-il à y opposer ? Son mérite propre n’est pas de ceux qui se puissent démontrer à la foule et qui aient le droit d’espérer une revanche ; il aura beau multiplier, au sein de l’Académie des sciences, ses estimables travaux sur la garance et la coloration des os, la plaisanterie ne subsistera pas moins autour de son nom, qui sera à jamais coloré de cette sorte dans l’opinion moqueuse et légère. Combien d’honnêtes gens, d’estimables esprits, sous la restauration, sont demeurés ainsi sous le coup du ridicule pour quelque faux pas qui a donné la seule idée de leur allure ! M. Flourens n’a guère qu’un moyen visible et direct de répondre à toutes les plaisanteries que sa nomination a déchaînées : c’est de profiter de son fauteuil à l’Académie française pour voter avec l’indépendance qu’il sait garder, nous assure-t-on, au sein de l’Académie des sciences. Si M. Hugo se représente à la vacance prochaine, M. Flourens lui doit sa voix.

Il ne faudrait pourtant pas que l’excès de la plaisanterie allât, en se prolongeant, jusqu’à devenir trop sérieux. On parlerait de je ne sais quelle protestation qu’une association de gens de lettres prétendrait opposer au vote de l’Académie française : c’est ainsi, en des temps fameux, que la Commune de Paris protestait contre la Convention. De telles rodomontades, qui sentiraient, jusqu’à un certain point, le sans-culotisme littéraire, manqueraient trop leur effet, et elles iraient trop au rebours des intérêts et de la cause de M. Hugo, pour que nous y croyions le moins du monde avant de lire la protestation en toutes lettres au Moniteur.

Il n’a manqué à l’honneur et à la bonne grace de la nomination de M. Molé que d’être précédée de celle de M. Hugo. L’opinion publique, en ce qu’elle a d’éclairé, a applaudi à un témoignage de considération si unanime et si mérité. Ç’a été une bonne fortune pour le nouvel académicien d’avoir à prononcer, deux jours après, au sein de la Chambre des Pairs, l’éloge du général Bernard ; cette parole simple, honnête, élevée, touchante, eût justifié tous les choix.