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qu’à certaines époques elle s’est elle-même renouvelée en appelant à elle, en décorant de ses titres les hommes de la bourgeoisie ou du peuple qui se distinguaient par leur courage ou leur talent. Que l’on ouvre aujourd’hui le Peerage de la noblesse suédoise ; à côté de toutes ces anciennes familles des Bonde, des Brahe, des Bielke, dont l’histoire commence, pour ainsi dire, avec l’histoire même de leur pays, on en trouvera des centaines d’autres d’une origine fort récente et fort modeste. La plupart des hommes qui, dans les derniers temps, ont occupé les plus hautes fonctions de l’état, étaient tout simplement des fils de prêtres, de marchands, de professeurs, et le chef de l’opposition dans la diète qui vient de s’assembler à Stockholm est un vieux gentilhomme.

Le récit qui succède à cette introduction est fait d’après les mêmes principes anti-aristocratiques. Gustave III et Gustave IV apparaissent dans ce récit comme deux grandes et imposantes figures au milieu des ombres inquiètes de la noblesse. L’un et l’autre avaient pourtant bien quelques défauts, l’auteur est obligé d’en convenir ; mais il est évident qu’ils auraient été les premiers rois du monde, s’ils n’avaient eu autour d’eux cette fatale aristocratie. Or, tous ceux qui ont étudié impartialement l’histoire de la Suède savent que, si ces deux rois eurent quelquefois le malheur d’être, comme tous les rois, mal servis par leurs agens ou trahis par leurs ministres, ils furent eux-mêmes le plus souvent la cause première, la cause unique de leurs fautes et de leurs revers.

Gustave III était, il est vrai, un prince doué des plus brillantes qualités : beau, spirituel, instruit, passionné pour la gloire des armes et la gloire des lettres ; mais il se laissa éblouir par l’aspect des cours étrangères, et renia la mâle simplicité de ses ancêtres. Il répandit autour de lui les habitudes de luxe, les frivolités ruineuses et les folles galanteries de Versailles. En un mot, il fut, avec plus de dignité pourtant et plus d’élévation d’esprit, le Louis XV de la Suède. Il avait été aimé et vénéré comme lui ; il se vit, comme lui, privé des sympathies de sa nation, plusieurs années avant de succomber sous le fer d’Ankarstrœm.

Quant à Gustave IV, il ne commit qu’une légère erreur, ce fut de croire qu’il était de taille à lutter avec Napoléon et avec la France ; que dis-je avec la France ? avec la Russie, le Danemark et l’Angleterre, car il se trouva réellement en guerre, lui tout seul, avec ces quatre puissances. Son royaume était pour lui une terre fabuleuse dont il ne comprenait pas très bien l’étendue et les ressources. Il ordonna, un beau matin, une contribution extraordinaire de 200,000,000, et fut assez étonné d’apprendre que c’était le revenu de vingt années de tout le pays. Il se figurait que la Suède était encore la vagina gentium, et qu’il ne fallait que frapper le sol du pied pour en faire sortir des hommes. Un jour les Suédois, las de l’entendre frapper si souvent, marchèrent contre lui, et le mirent tout simplement à la porte du royaume. Dans le temps où ses dissensions avec la France éclatèrent, le Moniteur dit de lui qu’il n’avait de son aïeul Charles XII que la folie et les grandes bottes. L’épigramme était un peu crue, mais assez juste.