Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 21.djvu/727

Cette page a été validée par deux contributeurs.
723
REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

magne, se signala entre ses plus fougueux compatriotes par sa haine contre Napoléon, par ses écrits contre la France. Quand la bataille d’Iéna soumit à nos armes les destins de la Prusse, Arndt ne se sentit plus en sûreté dans son pays, et se réfugia en Suède, où ses œuvres anti-napoléoniennes ne pouvaient que lui mériter la faveur de Gustave IV. Il séjourna quelque temps à Stockholm, puis parcourut les différentes provinces de la Suède, et publia un récit de voyage un peu long, un peu monotone, mais au demeurant assez riche de faits et d’observations. À la chute de l’empire, il revint en Allemagne et fut nommé professeur à l’université de Bonn. Là il recommença ses plaidoiries furibondes contre la France et ses dissertations sur la liberté de l’Allemagne. Mais ces mêmes vœux de liberté, que le gouvernement prussien regardait comme un acte de patriotisme quand il courbait la tête sous la puissante main de l’empereur, devinrent pour lui autant de cris séditieux quand il eut recouvré son indépendance. Le pauvre Arndt, qui en était encore aux idées de 1807, fut bien surpris un jour de se voir signalé comme un être dangereux, lui qui se regardait comme un des libérateurs de l’Allemagne, et qui pensait peut-être que sa plume aurait pu être mise dans la même balance que l’épée de Blücher. La police fit une descente chez lui, visita sa demeure, et s’empara de ses papiers. Le gouverneur de la province le suspendit de ses fonctions de professeur, et l’appela à répondre de ses idées démagogiques devant une commission d’enquête établie à Mayence. Arndt écrivit protestation sur protestation. Il déclarait qu’il n’était ni un membre des sociétés secrètes, ni un corrupteur de la jeunesse, ni un jacobin, et en vérité il avait raison. Il était réellement très dévoué au roi et au gouvernement monarchique, mais il n’aimait guère l’aristocratie. Sa parole ne suffit pas pour le justifier. Il subit toutes les tortures d’une rigoureuse inquisition, et n’obtint qu’après maintes difficultés la permission de reprendre ses cours.

L’ouvrage qu’il vient de publier porte la vive empreinte de ses anciennes passions politiques. Dans la préface, il déclare que sa sympathie pour Gustave IV provenait de sa haine pour Napoléon. Dans son introduction, il trace un tableau très développé et très intéressant de la Suède. Tout ce qu’il dit de l’état moral de ce pays, du caractère du peuple et des habitudes de la vie domestique dans le Nord est fort judicieux. Seulement l’aristocratie le gêne. Quand il en vient à parler d’elle, le levain de la démocratie fermente dans sa pensée, et sa parole tourne au sarcasme. Il oublie que cette aristocratie a été pendant plusieurs siècles la partie la plus vitale de la nation suédoise, qu’elle a conquis son illustration dans les postes les plus difficiles et sur les champs de bataille, avec Gustave Wasa dans les forêts de la Dalécarlie, avec Gustave-Adolphe dans les plaines de Lutzen, avec Charles XII dans les champs de la Pologne. Il oublie que cette aristocratie n’est point, comme dans d’autres pays, un corps hautain et arrogant, appuyé sur les traditions du passé, fier de ses privilèges, séquestré de la vie commune. Ce qui fait la force de l’aristocratie suédoise, c’est qu’elle s’est toujours montrée profondément imbue d’un sentiment national, c’est qu’elle a souvent été plus près du peuple que de la royauté, c’est