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meurtre ; mais il représente le plus douloureux tableau, le tableau d’une foi ardente qui s’éteint, d’une pensée généreuse qui succombe, d’un cœur qui se brise[1].

Il est une autre branche de la littérature allemande qui, par son origine déjà reculée et par son retour régulier, mérite de fixer au moins quelques instans nos regards. C’est celle de tous ces Keepsake, Annuals, ou Taschenbücher, qui vers le mois de décembre apparaissent derrière les vitraux de chaque librairie, avec leur couverture élégante, leurs guirlandes et leurs arabesques pareilles à ces rangées de fleurs que les habitans du Nord mettent sur leurs fenêtres pour faire diversion aux teintes monotones du ciel d’hiver. En Angleterre, on les imprime sur le plus beau vélin, on les couvre d’or et de velours, et on les range dans le domaine de la fashion. En France, on les abandonne au caprice des provinciaux et des étrangers. En Allemagne, on les prend encore au sérieux. C’est dans un de ces almanachs que vers le milieu du XVIIIe siècle les étudians de Goettingue commencèrent à publier des odes et des élégies qui présageaient une ère nouvelle dans la poésie allemande. C’est dans un de ces almanachs que Goethe et Schiller firent paraître leurs célèbres Xenies ; car ces almanachs ont été long-temps pour l’Allemagne ce que les Revues sont pour nous. C’est par là que le poète, le romancier débutaient dans le monde littéraire, et plus d’un écrivain distingué est resté fidèle au recueil qui accueillit ses premiers essais. Tieck a fait la fortune de l’Urania en lui donnant chaque année une de ses jolies nouvelles, et peu de temps avant sa mort Chamisso se glorifiait de mettre son nom en tête de l’Almanach des Muses. Dans une contrée où la vie est réglée d’avance, où le retour systématique des mêmes joies matérielles et intellectuelles est regardé comme un bonheur de plus, l’apparition de ces petits livres qui cachent sous leur étui moiré d’étonnantes prétentions à l’élégance est une de ces bonnes jouissances naïvement attendues dont notre existence inquiète et mobile nous a déshérités. L’Allemagne serait probablement tout aussi surprise, j’allais presque dire aussi affligée, de voir un hiver sans Taschenbücher, que de voir un printemps sans soleil ou une automne sans moisson. La plupart de ces recueils ne renferment que des nouvelles et des vers. D’autres sont spécialement consacrés à des notices sur l’art, sur le théâtre, sur l’histoire. Chaque lecteur choisit le sien comme nous choisissons notre journal, et il y a des familles où ces almanachs de littérature et de poésie sont gardés avec un soin religieux comme le souvenir des années qui ne sont plus.

Parmi les publications d’une nature plus sérieuse, je distingue un livre sur les principaux évènemens de la vie de Gustave III et de Gustave IV, par M. Arndt[2]. C’est ce même Arndt qui, du temps de nos guerres avec l’Alle-

  1. Cette tragédie, qui a été très applaudie en Allemagne, vient d’être traduite en français, et sera prochainement publiée. Un de nos auteurs dramatiques l’arrange, dit-on, pour notre scène.
  2. Schwedische geschichten unter Gustav dem dritten, 1 vol. in-8o; Paris, chez Brockhaus et Avenarius.