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NOUVELLES SATIRES.

païenne ; il eût mieux valu se passer des Telchines et des Mégabyzes, et ne jamais oublier que l’action du poème se passe trois siècles et demi avant l’ère chrétienne. Or, il n’y a pas un des personnages du poème d’Érostrate qui exprime les idées de son temps ; il n’y a pas jusqu’à l’orgueil même d’Érostrate qui ne soit entaché d’anachronisme, et qui ne ressemble à l’ennui tel que l’a fait la civilisation moderne. L’Érostrate de M. Barbier est un homme de vingt ans, qui a lu René, Werther et Childe-Harold.

Le style des deux nouvelles satires de M. Barbier mérite des reproches nombreux : non-seulement il est parfois prosaïque jusqu’à la trivialité, non-seulement il offre dans la même page, dans la même période, des images contradictoires ; mais souvent même, nous devons le dire, il viole jusqu’aux lois de notre langue. Ainsi Pot-de-Vin dit :

Chaques mots que j’entends viennent user ma trame.

Érostrate dit au pilote :

Je sais une grande île, une île magnifique,
Où navire mortel n’ait abordé jamais.

L’Espagne dit à l’Italie :

Tel on voit l’olivier, de sa racine antique
Et de son tronc ouvert par l’outrage des ans,
Élancer dans les airs plus d’un jet magnifique…

À Dieu ne plaise que nous prétendions renfermer la critique littéraire dans le cercle étroit de l’analyse grammaticale. Le style, nous le savons, ne constitue pas toute la poésie, et la grammaire elle-même est loin de posséder tous les secrets du style ; mais le style joue dans la poésie un rôle immense, et la grammaire joue dans le style un rôle non moins important. On s’est beaucoup moqué, dans le siècle où nous vivons, des chicanes faites aux poètes français du XVIIe siècle par les grammairiens du XVIIIe, et souvent on a eu raison ; cependant il y a dans ces chicanes, toutes puériles qu’elles paraissent, une part de vérité qu’on ne doit pas méconnaître. Il est arrivé sans doute plus d’une fois aux grammairiens du XVIIIe siècle de pousser la sévérité jusqu’à l’injustice, d’appliquer aux contemporains de Pascal et de Bossuet des lois que ces deux maîtres illustres ne connaissaient pas, qui étaient encore à faire au moment où ils écrivaient. Mais si l’on veut bien tenir compte des conditions de progrès auxquelles sont soumises les lois de la langue, comme toutes les autres lois ; si l’on veut bien ne pas oublier que l’analyse de la parole