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NOUVELLES SATIRES.

mais il est certain que cette première partie ne s’accorde nullement avec l’idée que nous avons d’Érostrate d’après les écrivains de l’antiquité. Si Érostrate eût pris les satyres pour modèles, il est probable qu’il n’eût jamais brûlé le temple d’Éphèse, car la luxure, loin de favoriser le développement de l’orgueil, mène rapidement au mépris de la gloire. La seconde partie du poème s’ouvre par un chant de matelots. Ce morceau se recommande par la franchise et l’élévation ; malheureusement le dialogue qui s’engage entre Érostrate et le pilote n’offre pas les mêmes qualités. Dans ce dialogue, l’orgueil d’Érostrate se dessine tout entier ; mais chacun des deux interlocuteurs emploie pour exprimer sa pensée un langage qui nous étonne. Érostrate énonce sur les tortures de l’obscurité bien des idées que le pilote ne doit pas comprendre, et le pilote, à son tour, récite sur le néant de la gloire une foule de maximes parfaitement vraies sans doute, mais placées dans sa bouche on ne sait trop pourquoi. Quel que soit donc le mérite de chacune des pensées qui composent ce dialogue, nous devons dire qu’elles ne réussissent pas à nous intéresser. Arrive un alcyon qui annonce la tempête aux matelots. Je l’avouerai franchement, je ne saurais approuver l’emploi confié à ce nouveau personnage : le poète lyrique, et la Bible nous en offre plus d’un exemple, peut douer de la parole les animaux et même les plantes ; dans un poème dramatique, cette générosité présente de graves inconvéniens. En effet, lorsque l’alcyon a parlé, on s’étonne involontairement que les matelots et le pilote se servent de la même langue que l’alcyon. Enfin le vaisseau se brise, l’équipage est englouti, et la tempête jette Érostrate sur la côte d’Ionie. Je dirai de cette seconde partie ce que j’ai dit de la première, à savoir qu’elle ne sert pas au développement du sujet choisi par M. Barbier. Je ne conteste pas le mérite qui distingue le chant des matelots ; mais le dialogue du pilote et d’Érostrate est d’une obscurité qui provoque souvent l’impatience, et l’amertume orgueilleuse qui éclate dans les paroles du héros ne présage pas, même d’une façon indirecte, le dénouement du poème.

Je suis forcé de blâmer le chant des hirondelles comme j’ai blâmé, le chant de l’alcyon. Il est vrai que leurs hymnes joyeux excitent la colère d’Érostrate ; mais, pour atteindre ce but, il n’était pas nécessaire de prêter la parole aux hirondelles : le spectacle de la nature saluant le retour de la lumière et de la sérénité suffisait pour exaspérer l’orgueil du naufragé. L’intervention des dieux souterrains a le malheur de n’être pas préparée. Comme les deux premières parties