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DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE.

jeunes esprits la fièvre flagrante du libéralisme, et de les placer dans une habitude plus calme, plus pacifique, plus ouverte aux idées et aux combinaisons véritablement sociales. Si le sentiment moral s’est parfois trouvé affaibli sous le coup de cette transformation profonde, c’est là un mal à combattre, à réparer ; mais il y a eu, à d’autres égards, de l’avantage : il s’est répandu dans toute l’atmosphère des esprits un certain mélange dont l’intelligence et la tolérance ont profité. Il s’agirait d’y rendre aujourd’hui, sous l’empire d’un sentiment moral tout pratique, le mouvement, le concert et l’action.

Une quantité de talens déjà nés sous la restauration, mais qui ont développé depuis lors des secondes phases complètes, semblent merveilleusement s’y prêter pour le fond ; il leur manque seulement que l’impulsion leur en vienne de quelque part ; ils sont exactement disponibles : quel souffle donc les pourrait remuer, et, si peu que ce fût, rassembler ?

Qui n’a vu dans une de ces soirées encombrées, dans un de ces raouts où se figure si bien notre époque, tous les talens, tous les noms divers dont une littérature de loin s’honore, et qui, si on les lorgne de Vienne ou de Saint-Pétersbourg, ont l’air d’être groupés, grace à la distance, et qui ne le sont pas ? Qui ne les a vus se presser, se heurter, se croiser ? On se rencontre, on se salue de l’œil ou du geste ; au mieux on se serre la main, et l’on passe, et tout est dit. La vie d’une littérature est-elle là ?

Un symptôme pourtant se prononce, et il appartient à chacun de l’aider. Nul groupe sans doute n’existe, nulle école imposante, nul centre doctrinal comme on dit, et à quelques égards je ne m’en plains pas : variété et liberté, c’est quelque chose. Mais, ainsi que je l’ai posé en commençant, depuis trois ou quatre années, les choses politiques s’étant graduellement apaisées ou affaissées dans ce qu’elles avaient d’habituellement imminent et absorbant, on a le loisir, on se regarde ; rien ne s’est recomposé littérairement et avec le feu des premières œuvres ; du moins les individus se retrouvent, s’essaient ; il y a une sorte de retour des uns à leurs anciens travaux, il y a persistance et perfectionnement chez d’autres, un peu de désabusement chez tous, mais en somme une disposition assez favorable et qui s’intéresse avec assez de sincérité. Le ralentissement de ceux-ci, l’échouement de ceux-là, la difficulté des vents pour les heureux même, les ont à peu près tous jetés en vue des mêmes rivages : ce n’est plus certes le navire Argo qui peut voguer d’une proue magique à la conquête de la toison d’or ; mais de toutes ces nefs restantes, de tous