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bénis. Oui, telle est mon inébranlable foi, et cette foi est mon appui, mon asile, ma consolation, ma douceur, dans ce moment formidable.

Adieu, mon cher ami ; conservez cet écrit comme un souvenir et de moi et de lui. Vous l’avez connu, vous l’avez aimé ; parlez souvent de lui avec le petit nombre d’amis qui ont survécu. Songez que c’est à lui que nous devons de nous être connus l’un et l’autre. Je me souviens encore de ce jour où, vers la fin de 1825, vous et Lisio, qui ne m’aviez jamais vu, vous vîntes chez moi me demander pour vous, ses compagnons d’infortune et d’exil, quelque chose du sentiment que j’avais pour lui. Eh bien ! c’est moi aujourd’hui qui, en me retirant, viens vous demander de me remplacer auprès de sa mémoire. Gardez-la fidèlement, mes amis, entourez de respect sa femme et ses enfans ; guidez ceux-ci dans la route du devoir et de l’honneur ; apprenez-leur quel fut leur père ; faites-leur lire cet écrit, il est exact et fidèle ; il n’y a pas un mot qui ne soit scrupuleusement vrai, pas un mot qui ne soit emprunté aux lettres mêmes de leur père. Ses défauts sont manifestes à côté de ses grandes qualités. L’énergie touche à l’exaltation, et l’exaltation est presque une folie sublime. Il y a du héros de roman dans tout héros véritable, et nos plus grandes qualités ont leur rançon dans leur excès. Sans doute Santa-Rosa fut un homme incomplet, mais Santa-Rosa eut une ame grande et à la fois une ame tendre ; c’est par là que vous lui devez une place éminente dans votre admiration et dans vos regrets. Adieu.

1er  novembre 1838.


Victor Cousin.