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rencontra Santa-Rosa dans l’île le 8 mai, à neuf heures et demie du matin, et eut avec lui une dernière entrevue, dont il m’a communiqué la relation suivante :


Île de Sphactérie, 8 mai, neuf heures et demie du matin.

Santa Rosa. — « Tous nos amis du fort se portent bien ; je suis venu ici avec le capitaine Simo, parce qu’il faut défendre cette île ; d’où dépend le salut de la place. Je me repens bien d’avoir entrepris à tout prix la vie de pallicare ; je croyais savoir le grec, et je n’en comprends pas un mot, la langue du peuple étant tout-à-fait différente de celle des gens instruits. En outre, le désordre qui règne dans l’armée grecque est affreux et ne laisse rien à espérer. » M. Édouard Grasset lui dit : « Venez à la batterie avec nous. » Santa-Rosa répondit : « Non, je resterai ici ; je veux voir les Turcs de plus près. » À ces mots, ils se séparèrent.

Je n’ai pas rencontré un Grec ayant pris part à la campagne de 1825 qui ne m’ait parlé avec admiration de la conduite de Santa-Rosa. Je n’hésitai donc pas à écrire au gouvernement grec, dans la personne du prince Maurocordato, pour demander que le nom de Santa-Rosa fût donné à l’endroit de l’île de Sphactérie où il avait été tué ; je demandai, en outre, qu’un tombeau modeste lui fût élevé dans le même lieu, et que le gouvernement me permît de faire élever ce tombeau à mes frais, pour qu’au moins j’eusse la consolation d’avoir rendu ce dernier devoir à l’homme de mon temps que j’avais le plus respecté et chéri. Je n’ai jamais reçu de réponse à cette demande ; mais, en même temps que je m’adressais au gouvernement grec, j’eus le bon esprit d’écrire au colonel Fabvier, pour lui recommander la mémoire de notre ami. Celui-là était fait pour me comprendre. Aussi, dès que l’armée française, commandée par le maréchal Maison, eut délivré le Péloponèse et l’île de Sphactérie de l’invasion égyptienne, le colonel Fabvier s’empressa d’acquitter notre dette commune en élevant à Santa-Rosa, au lieu même où il passe pour avoir été tué, à l’entrée d’une caverne située dans l’île, un monument avec cette inscription : « Au comte Sanctorre de Santa-Rosa, tué le 9 mai 1825. » Le gouvernement grec n’y prit aucune part ; mais le peuple et surtout les soldats français mirent l’empressement le plus vif à seconder le digne colonel dans cet hommage rendu à la mémoire d’un homme de cœur.

Et moi aussi, jaloux de payer ma dette à une mémoire vénérée,