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PAULINE.

expression de visage dont elle fut terrifiée. Jamais la tragédienne n’avait été plus belle, même lorsqu’elle disait dans Bajazet son impérieux et magnifique : Sortez !

Lorsqu’elle fut seule, elle se promena dans sa chambre comme une lionne dans sa cage, brisant ses vases étrusques, ses statuettes, froissant ses vêtemens et arrachant presque ses beaux cheveux noirs. Tout ce qu’elle avait de grandeur, de sincérité, de véritable tendresse dans l’ame, venait d’être méconnu et avili par celle qu’elle avait tant aimée, et pour qui elle eût donné sa vie ! Il est des colères saintes où Jehovah est en nous, et où la terre tremblerait, si elle sentait ce qui se passe dans un grand cœur outragé. La petite sœur de Laurence entra, crut qu’elle étudiait un rôle, la regarda quelques instans sans rien dire, sans oser remuer ; puis, s’effrayant de la voir si pâle et si terrible, elle alla dire à Mme S… : — Maman, va donc voir Laurence ; elle se rendra malade à force de travailler. Elle m’a fait peur.

Mme S… courut auprès de sa fille. Dès que Laurence la vit, elle se jeta dans ses bras et fondit en larmes. Au bout d’une heure, ayant réussi à s’apaiser, elle pria sa mère d’aller chercher Pauline. Elle voulait lui demander pardon de sa violence, afin d’avoir occasion de lui pardonner elle-même. On chercha Pauline dans toute la maison, dans le jardin, dans la rue… On revint dans sa chambre avec effroi. Laurence examinait tout, elle cherchait les traces d’une évasion ; elle frémissait d’y trouver celles d’un suicide. Elle était dans un état impossible à rendre, lorsque Lavallée entra et lui dit qu’il venait de rencontrer Pauline dans un fiacre se dirigeant vers les boulevarts. On attendit son retour avec anxiété : elle ne rentra pas pour dîner. Personne ne put manger ; la famille était consternée, on craignait de faire un outrage à Pauline en la supposant en fuite. Enfin, Lavallée allait s’informer d’elle chez Montgenays, au risque d’une scène orageuse, lorsque Laurence reçut une lettre ainsi conçue :

« Vous m’avez chassée, je vous en remercie ; il y avait longtemps que le séjour de votre maison m’était odieux ; j’avais senti, dès le premier jour, qu’il me serait funeste. Il s’y était passé trop de scandales et d’orages pour qu’une ame paisible et honnête n’y fût pas flétrie ou brisée. Vous m’avez assez avilie ! vous avez fait de moi votre servante, votre dupe et votre victime ! Je n’oublierai jamais le jour où, dans votre loge au théâtre, trouvant que je ne vous habillais pas assez vite, vous m’avez arraché des mains votre diadème de reine, en disant : « Je me couronnerai bien sans toi et