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SANTA-ROSA.

droits. J’ignore s’ils sont fondés ; mais, dans tous les cas, pouvais-je, devais-je retirer ma parole ? Les députés grecs seuls avaient le droit de me retenir, eux à qui j’avais offert mes services sans aucune condition. Ils ne l’ont point fait, et je pars.

« Mon ami, je n’avais point de sympathie pour l’Espagne, et je n’y suis point allé, puisque par cela seul je n’y aurais été bon à rien. Je sens au contraire pour la Grèce un amour qui a quelque chose de solennel ; la patrie de Socrate, entends-tu bien ? — Le peuple grec est brave, il est bon, et bien des siècles d’esclavage n’ont pas pu détruire entièrement son beau caractère ; je le regarde d’ailleurs comme un peuple frère. Dans tous les âges, l’Italie et la Grèce ont entremêlé leurs destinées ; et ne pouvant rien pour ma patrie, je considère presque comme un devoir de consacrer à la Grèce quelques années de vigueur qui me restent encore. — Je te le répète, il est très possible que mon espoir de faire quelque bien ne se réalise point. Mais dans cette supposition même, pourquoi ne pourrais-je pas vivre dans un coin de la Grèce, y travailler pour moi ? La pensée d’avoir fait un nouveau sacrifice à l’objet de mon culte, de ce culte qui seul est digne de la Divinité, m’aura rendu cette énergie morale sans laquelle la vie n’est qu’un songe insipide.

« Tu n’as pas répondu à la lettre dont je t’ai parlé. Dieu me préserve de penser que tu aies voulu me punir de mon silence en l’imitant ! Écris-moi maintenant, je t’en conjure. Fais-moi parvenir ma lettre à Napoli de Romanie, siége du gouvernement grec dans le Péloponèse. Cherches-en les moyens sans perdre de temps.

« J’emporte ton Platon. Je t’écrirai ma première lettre d’Athènes. Donne-moi tes ordres pour la patrie de tes maîtres et des miens.

« Tu me parleras de ta santé et avec détail, tu me diras que tu m’aimes toujours, que tu reconnais ton ami dans le sentiment qui lui a commandé ce voyage. Adieu, adieu. Personne sous le ciel ne t’aime plus que moi. »


Quand je reçus ces deux lettres à la fois à mon retour de Berlin, et en apprenant en même temps que Santa-Rosa avait accompli sa résolution, que l’armée égyptienne était débarquée en Morée, et que Santa-Rosa était devant elle, je ne dis que ces mots à l’ami qui me remit ces deux lettres : « Il se fera tuer ; Dieu veuille qu’à cette heure il soit encore vivant » et à l’instant même je fis tout pour le sauver. J’écrivis immédiatement à M. Orlando, envoyé grec à Londres, qui avait été chargé par son gouvernement de négocier l’envoi