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REVUE DES DEUX MONDES.

« Hier, j’ai été faire une petite promenade autour d’Alençon ; j’ai salué le soleil couchant pour toi. Ô cher ami, tu me manques bien ! Quelle divinité nous a réunis ? Je t’ai vu, je t’ai aimé, et que je l’ai bien senti le jour de ton départ d’ici ! Te souviens-tu avec quelle rapidité s’est formée notre si confiante amitié ? il faut qu’elle nous donne de beaux jours. J’aurais besoin de te savoir heureux, tranquille, serein. J’ai de la foi en toi ; aussi, je te désire heureux, un peu par égoïsme. Heureux, tu t’occuperas avec plus de succès d’adoucir mes profonds chagrins. Ne va pas, par une coupable pitié, diminuer d’un seul degré, du moindre degré, cet abandon si vif et si vrai que tu as avec moi. Je ne m’y tromperais pas, et cela me rendrait réellement malheureux. Tu es mon dernier attachement de cœur… »


Alençon, 24 août.

« Mon travail avance, tout le plan du livre est arrêté ; le titre sera : De la Liberté et de ses rapports avec les formes de gouvernement. Bientôt je mettrai la main à l’œuvre ; mais à présent, je ne pense qu’au congrès de Vérone. Tu vois qu’il n’est plus douteux. C’est un devoir pour moi de signaler à l’Europe ce que va faire ce nouveau congrès, particulièrement en ce qui regarde l’Italie.


Bourges, 6 septembre.

« Eh bien ! me voici à Bourges. Combien ce voyage m’a été pénible ! mais je veux m’efforcer de n’y plus penser. Le préfet, comte de Juigné, m’a reçu avec politesse, mais m’a avoué qu’il avait des instructions très sévères sur moi, et il m’a renvoyé au maire, qui m’a témoigné avec beaucoup d’honnêteté son désir d’adoucir ma situation. En venant au fait, j’ai été très mécontent de sa proposition : « Je compte avoir votre parole d’honneur comme celle de ces messieurs, » car j’ai trouvé ici quatre autres réfugiés, MM. de Saint-Michel, de Baronis, de Palma et Garda ; sans quoi il me dit qu’il serait obligé de me donner la ville pour prison, à la lettre, de me faire surveiller sans cesse, de me gêner, de m’interdire jusqu’aux promenades, parce qu’elles sont extra muros ; en un mot, il m’arracha en quelque sorte cette parole d’honneur. Je la lui ai donnée pour dix jours, afin de pouvoir m’orienter un peu, après quoi je verrai. Ma situation est donc empirée, comme tu vois, et j’en suis à regretter Alençon vingt fois par jour. — Enfin me voilà installé dans une chambre bien modeste, ayant un petit cabinet où je travaillerai, chez de braves gens