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SANTA-ROSA.


Alençon, 14 août.

« J’attends avec une impatience dont tu peux te faire une idée des nouvelles de ton voyage ; je t’ai bien recommandé à Dieu. Depuis long-temps je n’avais si vivement senti sa présence dans mon cœur. J’ai appelé sur toi toutes les bénédictions du ciel ; qu’il te protége, qu’il te donne la force de supporter le bonheur comme le malheur ; tout vient de lui, tu le sais bien. — Écris-moi deux mots de Laenneck et de Platon ; si le premier n’est pas trop mécontent de ton état, tant mieux ; s’il faisait la grimace, souviens-toi qu’il n’est qu’un homme : espère, et surtout espère en toi. Homme si aimé par tes amis, tu offenses Dieu si tu contemples ton existence d’un œil sombre ; il est de cruelles, d’amères douleurs, que tu ne connais pas et qui font l’effet d’un poison lent. L’organisation de mon corps ne s’en est pas ressentie : elle est si forte ! mais l’ame… Mais il vaut mieux parler d’autre chose et revenir au matériel de la vie. Voici la lettre à M. de Corbière ; elle est un peu forte, mais la vérité est la vérité. L’original partira demain par la voie du préfet à qui je le remettrai moi-même.

« Ma pensée est trop occupée des suites de ma démarche pour me permettre de continuer tranquillement mes études. L’orgueilleux La Mennais ne me fait aucun bien ; j’aime mieux ma chère église catholique, quand je la défends au nom de la raison, non pas contre la bonne philosophie, mais contre la mauvaise. Ce superbe sceptique me repousse au lieu de m’attirer. Bonald est un tout autre homme ; c’est une tête très pensante, mais il pousse ses idées systématiques jusqu’à l’extravagance, et tient très peu de compte des faits, quoiqu’il les cite beaucoup. »


Alençon, 20 août.

« … Je suis très satisfait d’avoir fait mon devoir et j’en attends les résultats avec une tranquillité parfaite. Si quelque journal ministériel ou ultra faisait quelque article contre moi ou sur ma lettre, réponds toi-même si tu le juges convenable, et comme tu le jugeras convenable. Au cas que tu voies un nuage sérieux se former sur ma tête je suis prêt à passer en Angleterre à la minute ; règle-toi en conséquence et dis-le à Fabvier. Mais si, comme je l’espère, on prend le sage parti de recevoir mes démentis en silence, je resterai dans notre chère France, qui, toute coupable qu’elle est, m’attache par je ne sais quel charme.